Défense en France - Voyage à Brest du président de la République - La 4e session du Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM) - La réforme de l'École Polytechnique
Voyage à Brest du président de la République
Le 22 octobre 1971, le président de la République était à Brest en tant que chef de l’État, puisqu’il devait prononcer à l’Hôtel de ville un discours de portée nationale, mais aussi en tant que chef des Armées.
De même qu’il s’était rendu au mois de juin 1971 au plateau d’Albion au moment où devenait opérationnel le premier Groupement de missiles stratégiques (1er GMS), de même le président de la République, seul investi du droit d’engager les forces de riposte nucléaire, a-t-il tenu à visiter la base de l’Île Longue et le Redoutable, premier de nos sous-marins nucléaires lance-missiles (SNLE), avant qu’il n’entreprenne à la fin de l’année sa première patrouille opérationnelle. Lors de la prise de contact avec le commandant et l’équipage « rouge » du sous-marin, M. Pompidou a pu constater, comme il l’a dit lui-même, « la qualité des hommes et cette espèce de fermeté calme et tranquille de ces officiers, de ces marins qui vont s’embarquer pour passer deux mois et demi sous les mers avec une capacité de destruction terrifiante et dans des conditions de vie et de travail qui sont de tension perpétuelle ».
Après avoir déjeuné sur le porte-hélicoptères Jeanne d’Arc, à bord duquel il avait été accueilli, comme le veut la tradition, aux cris de « Vive la République », le Président devait s’adresser à l’État-major, aux officiers-élèves et à l’équipage du bateau-école quittant Brest le soir même pour sa croisière annuelle d’application. « La France, a déclaré M. Pompidou, en dépit des changements qui sont survenus depuis la guerre dans la structure générale des relations entre les peuples, la France est encore présente partout, et vous aurez l’occasion de le constater, que ce soit en Polynésie, en Nouvelle-Calédonie, que ce soit dans l’Atlantique, dans le Pacifique ou dans l’océan Indien. C’est sans doute, en temps de paix, le premier rôle de la Marine que de représenter notre pays, notre drapeau, notre conception de la civilisation et par conséquent nous comptons sur vous pour jouer ce rôle, en terre française et en terre étrangère, et défendre l’honneur national par votre attitude et votre comportement. »
Évoquant ensuite « le trouble qui s’est quelquefois emparé des esprits à cause de la priorité donnée aux sous-marins et aux forces nucléaires stratégiques », le chef des Armées a rappelé que la nécessité pour la France de se donner les moyens d’une dissuasion « suffisamment terrible pour que personne n’ait intérêt à l’attaquer » avait entraîné un problème d’arbitrage budgétaire donc de choix des priorités. La marine de surface, qui n’a pas été oubliée dans le 3e plan militaire, pourra recevoir une part plus grande de crédits quand notre force de sous-marins nucléaires sera venue à maturité et le plan naval actuellement à l’étude devrait permettre d’assurer à tous les marins leur avenir et l’intérêt de leur métier.
Dénonçant « la tendance qui conduit tout naturellement à transformer les marins en ingénieurs » du fait que les bateaux modernes sont de plus en plus des monstres de technique et de complexité, le Président, s’adressant plus particulièrement aux midships [NDLR 2021 : aspirant], leur a affirmé que le plus important, avant d’être technicien, c’est de comprendre la mer, de savoir établir au sein d’un équipage un contact permanent pour lui donner une unité d’âme, en bref d’être « d’abord et avant tout, des marins, des hommes de caractère et au service de la Patrie. »
Pour conclure, le chef des Armées a tenu à rendre hommage à l’amiral Storelli, Chef d’état-major de la Marine (CEMM), et ancien commandant de la Jeanne d’Arc (1961-1963), qui doit prochainement quitter ses fonctions.
La 4e session du Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM)
La 4e session du CSFM s’est tenue à Paris le 27 octobre. Son ordre du jour comportait l’examen du projet de loi portant statut général des personnels militaires, projet qui doit être soumis ultérieurement au Conseil d’État puis au Parlement.
Travaux préparatoires
Lors de sa 2e session, le Conseil avait eu à connaître de cet avant-projet de loi et avait entendu M. Marceau Long, Secrétaire général pour l’Administration (SGA) exposer l’économie générale de ce texte (1). À cette occasion, de nombreux membres du Conseil avaient manifesté leur désir de pouvoir étudier le projet de loi de façon approfondie avant d’en discuter au cours de la session à venir.
Pour satisfaire cette demande – bien légitime, car le texte comporte 114 articles et bien des membres ne sont pas familiarisés avec le style législatif – le ministre d’État chargé de la Défense nationale [Michel Debré], président du CSFM, a décidé que l’étude du projet de loi aurait lieu en commissions avant la 4e session du Conseil. À cet effet, les 40 membres du Conseil ont été répartis en trois commissions, chacune étant chargée d’étudier l’un des trois titres principaux du projet de loi :
– Titre I – Condition militaire
– Titre II – Dispositions concernant les militaires de carrière
– Titre III – Dispositions concernant les militaires servant sous contrat.
Les deux autres titres (IV : dispositions concernant les personnels accomplissant le service militaire dans les conditions prévues par le code du service national, et V : dispositions diverses et transitoires), ayant un caractère soit systématique soit provisoire, il n’a pas été jugé nécessaire de les soumettre à un examen approfondi du Conseil.
Chaque membre titulaire a reçu au début du mois de septembre le texte du projet de loi lui permettant de se livrer à une première étude. Les commissions ont siégé séparément une première fois du 20 au 24 septembre, en présence d’un représentant du Chef d’état-major des armées (Céma) et d’un représentant du SGA. Cette première réunion avait pour but de permettre aux membres de se renseigner sur tel article du projet de loi qui aurait pu paraître obscur ou dont ils auraient voulu connaître la genèse, la portée ou le caractère novateur. À l’issue de cette première réunion, les membres du Conseil ont rejoint leur unité pour y poursuivre leur travail de réflexion, seuls ou avec leur entourage. Du 5 au 8 octobre, les commissions ont été à nouveau convoquées à Paris où elles se sont réunies séparément une deuxième fois, mais en dehors de la présence des représentants du Commandement et de l’Administration. Cette deuxième réunion devait permettre aux membres de confronter leurs réflexions en toute liberté de propos, étant entendu qu’ils pouvaient faire appel aux conseillers de l’État-major des armées (EMA) et du SGA pour éclairer tout point demeuré obscur ou discuter de la validité de telle ou telle suggestion.
À l’issue de ces trois journées, les commissions, ont siégé ensemble, chacune faisant part aux deux autres des résultats de ses travaux. Cette séance de travail en commun a permis l’élaboration des propositions et la désignation d’un rapporteur général chargé de présenter au ministre, au cours de la 4e session du Conseil, les points essentiels. Les propositions de détail ont par ailleurs fait l’objet de rapports particuliers adressés aux fins d’études au Commandement et à l’Administration.
La 4e session
Après avoir déclaré ouverte la session, M. Michel Debré a entendu le rapporteur général donner lecture des conclusions auxquelles étaient parvenus les membres des Commissions. Celles-ci, a indiqué l’orateur, ont été guidées par le souci d’informer complètement le ministre et celui de donner au projet de statut l’équilibre nécessaire entre les sujétions et les garanties propres à la condition militaire. Il en est résulté un certain nombre de suggestions qui, sans relever toutes du domaine de la loi, devraient voir leur principe retenu par le projet de statut, afin de donner une base légale aux textes d’application.
Les principales propositions formulées par le rapport général avaient trait à l’exercice de certaines libertés individuelles, les équivalences avec la fonction publique dans les domaines de classement hiérarchique, de couverture des risques, de rémunérations, l’admission du principe de certaines garanties en ce qui concerne les mesures d’autorité, le reclassement des militaires appelés à ne faire qu’une carrière courte, et diverses mesures de compensation comportant des aménagements en particulier dans le domaine des retraites.
Au cours de l’examen de plusieurs points particuliers, le ministre a rappelé que la rédaction de tout statut se doit de tenir compte de l’intérêt du Corps dans son ensemble. Il a accepté le principe de diverses suggestions dont il défendra l’inscription dans la loi auprès du Conseil d’État, seul compétent en la matière.
Avant de clore la session, M. Michel Debré a précisé aux membres du Conseil qu’ils recevraient prochainement le texte du projet de statut dont plusieurs articles auront fait l’objet d’une nouvelle rédaction au vu des conclusions du rapport général. Le projet de loi portant statut des personnels militaires doit être soumis au Conseil d’État en novembre, approuvé par le Gouvernement en décembre pour être soumis au Parlement au début de l’année 1972 et débattu au cours de la session de printemps.
La réforme de l’École Polytechnique
Le 14 septembre 1971, le ministre d’État chargé de la Défense nationale était à l’École Polytechnique pour installer dans leurs fonctions les membres du conseil d’administration (CA) de l’École. Cette mise en place représentait la concrétisation d’une série de réformes prononcées par la loi du 15 juillet 1970 et les textes d’application qui ont suivi. La réforme fondamentale, instituée par la loi, est la constitution de l’École Polytechnique en établissement public doté de la personnalité civile et de l’autonomie financière sous la tutelle du ministre chargé de la Défense nationale. Il en résulte une réforme de la hiérarchie et des structures.
L’officier général commandant l’École, jusqu’ici obligatoirement choisi parmi les anciens élèves, prend le titre de directeur général. Il dispose des pouvoirs conférés par le décret sur la discipline à l’officier général dans son commandement. Il exerce son autorité sur l’ensemble des personnels de l’École à l’exception de l’agent comptable. Les fonctions du commandant en second et du directeur des études sont désormais dévolues à un directeur général adjoint, principalement chargé des problèmes concernant l’enseignement et la recherche, remplaçant désigné du directeur général sauf en ce qui touche à l’observation des règlements militaires, et un officier supérieur adjoint qui détient les attributions d’un chef de corps à l’égard de tout le personnel militaire.
Autrefois assurée chaque année par un officier général désigné à cet effet, l’inspection générale est dorénavant confiée à un officier général nommé inspecteur de l’École Polytechnique qui assiste aux séances du CA.
Première réforme de structure : le Conseil de discipline. Autrefois présidé par le commandant en second, il l’est désormais par le directeur général. L’officier supérieur adjoint en est membre. L’officier supérieur du grade de chef de bataillon, ancien élève, est remplacé par deux anciens élèves, l’un militaire, l’autre appartenant à un corps civil de l’État. Dans la liste de ses compétences, le conseil ne voit plus figurer l’insuffisance systématique de travail. Il statue donc sur les cas de condamnations, fautes graves contre la discipline et inconduite habituelle. Il peut proposer une sanction disciplinaire ou la radiation de l’École.
Mais la réforme de structure fondamentale est la création du CA. En conséquence de la loi, il importait en effet de créer un organisme destiné à reprendre les attributions du Conseil de perfectionnement, c’est-à-dire les problèmes concernant l’enseignement à l’École et l’emploi des anciens élèves, mais en élargissant ses compétences notamment dans les domaines juridiques et financiers. C’est pourquoi les deux conseils présentent des différences.
On retrouve au CA des membres qui faisaient partie du Conseil de perfectionnement :
– Le directeur général (ex-commandant de l’école).
– Le directeur d’une école d’application d’ingénieurs militaires ;
– Le directeur d’une école d’application d’ingénieurs civils ;
– Des membres des corps de l’État, des administrations publiques, des entreprises nationalisées, de l’industrie privée et d’établissements scientifiques, dont le nombre passe de six à sept ;
– Deux membres du personnel enseignant.
Ne figurent plus au nouveau Conseil :
– Le directeur des études ;
– Un officier général et un ingénieur général des corps d’ingénieurs militaires ;
– Un membre du Conseil d’État et un membre de l’Académie des Sciences, qui siégeaient au Conseil de perfectionnement.
En revanche, on y voit figurer un président, extérieur à l’École, nommé par décret en Conseil des ministres et deux représentants des élèves. Ces derniers ne participent évidemment pas aux délibérations concernant le personnel enseignant, les examinateurs et les membres des jurys. Assistent au Conseil, avec voix consultative, le directeur général adjoint, le contrôleur financier et l’agent comptable. De plus, lorsque les délibérations le justifient, sont adjoints au Conseil, avec voix délibérative, le directeur général de l’Administration et de la Fonction publique, le délégué général à la Recherche scientifique et technique, des représentants nommément désignés des ministères de l’Éducation nationale et du Développement industriel et scientifique, et du personnel de recherche, technique et administratif de l’École. Ainsi constitué, le CA propose au ministre le programme du concours d’admission et décide de l’organisation et du fonctionnement de l’École, des actions en justice et du budget et des comptes financiers de l’École. L’autonomie financière, qui prend effet du 1er janvier 1972, implique en effet que l’école assure par elle-même la gestion de ses recettes et de ses dépenses selon un budget soumis au ministre de tutelle.
Comme l’a souligné dans son allocution M. Michel Debré, c’est là l’aboutissement d’une volonté de déconcentration et de participation visant à répartir la responsabilité entre l’autorité ministérielle et un organisme qui doit trouver là l’occasion d’affirmer son indépendance.
D’autres réformes, de portées diverses, sont également intervenues dans le courant de l’année écoulée. Les conditions de présentation au concours d’admission, jusqu’alors restreintes par le délai d’acquisition du baccalauréat et la limitation à deux inscriptions, sont maintenant déterminées par des limites d’âge. Cette modification ne peut qu’améliorer la sélection. Car la sélection, donc le concours, comme l’a affirmé le ministre, restent à la base de la vocation de l’École Polytechnique qui doit demeurer une école et non se transformer en établissement supérieur de type universitaire.
La loi a prévu l’admission à l’école d’élèves du sexe féminin soumis aux conditions normales d’admission, de discipline intérieure et de sortie. Elles auront le statut de personnel militaire féminin de réserve car l’École Polytechnique, et M. Michel Debré a tenu à le confirmer, doit conserver son caractère d’école militaire.
Certes, une faible proportion de ses élèves s’oriente à la sortie vers les carrières militaires. Ce qui justifie que les élèves ne soient plus considérés comme militaires d’active mais comme élèves-officiers puis aspirants de réserve, servant en situation d’activité pendant leur séjour à l’école, satisfaisant ainsi à leurs obligations légales de service. Mais, et c’est le point essentiel qu’a tenu à souligner le ministre, en dehors de la discipline militaire et du port de l’uniforme, c’est le caractère militaire de l’école qui seul peut faire prendre conscience à ses élèves, quel que soit le service auquel ils se destinent – armées, administration ou industrie –, d’une conception particulièrement exigeante du service public qui ne fera que s’accentuer dans l’avenir.
Enfin, un changement, qui n’est pas une réforme, interviendra prochainement dans l’implantation géographique de l’école. Installée rue Descartes depuis 1805, l’École Polytechnique, pour répondre à des exigences d’enseignement scientifique et d’environnement, notamment sportif, sera transférée à Palaiseau dans les années qui viennent. Là aussi, M. Michel Debré a affirmé sa conviction que ce transfert, analogue à celui de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr à Coëtquidan, ne saurait nuire à la tradition hautement respectable qui a fait l’âme de Polytechnique.
Le ministre a de plus confirmé la vocation finale de l’école, qui ne saurait être ni une école professionnelle ni une université aux débouchés très diversifiés, mais dont l’enseignement hautement scientifique, en raison de son association aux efforts de recherche, doit être orienté vers la préparation d’écoles de formation et donner à ses élèves non seulement la compétence mais le sens des responsabilités.
Pour conclure, M. Michel Debré a exposé que si la nation a besoin de l’École Polytechnique, l’École Polytechnique a besoin de la nation et du soutien que seule une nation forte peut apporter à la défense des grands intérêts des services publics, des entreprises nationalisées, de la recherche et, d’une façon générale, de l’activité économique du pays.
(1) Voir RDN de juin 1971, page 1021.
Nous publierons, comme chaque année, dans notre livraison de janvier prochain un article de fond traitant du budget de la défense nationale pour 1972.