Défense dans le monde - La mécanique des groupes de forces interarmées multinationaux
Après la fin de la guerre froide, l’Alliance atlantique a dû adapter son organisation militaire aux enjeux de sécurité européens. D’une part, les structures de commandement qui étaient taillées pour la défense collective devaient être allégées afin de pouvoir réagir efficacement à une crise localisée ; d’autre part, les crises contemporaines ont mis l’accent sur la modularité nécessaire des organisations chargées de prendre en main une opération de maintien de la paix. D’autres États que ceux appartenant normalement aux organisations concernées doivent pouvoir s’insérer dans le dispositif. Le caractère fermé de l’Alliance ne permettait pas ces subtils assemblages.
L’idée de groupes de forces interarmées multinationaux (1) s’est fait jour en 1993, lors d’une réunion des ministres de la Défense de l’Alliance à Travemunde. Comme il n’était pas concevable pour des raisons politiques, budgétaires et militaires de créer une deuxième chaîne de commandement parallèle à celle qui était prévue par l’article 5, les Américains ont suggéré d’étudier la dérivation d’états-majors de crise à partir des états-majors classiques de l’Otan. En cas d’opération de maintien de la paix, la totalité des forces mises à disposition par les États contributeurs leur seraient subordonnées. Cette proposition a immédiatement séduit car elle permettait à la fois de conserver la structure de commandement pour la mise en œuvre éventuelle de l’article 5 et de s’équiper pour commander une opération « non-article 5 ». Le concept a donc été adopté au sommet de Bruxelles en janvier 1994.
Principes d’organisation
Les réflexions ont rapidement porté sur les états-majors, ou quartiers généraux (QG), de ces groupes de forces (2), qui sont le volet le plus délicat de la réforme. Il faut qu’ils soient suffisamment disponibles sans porter atteinte à l’efficacité quotidienne de l’organisation de commandement de l’Otan, suffisamment structurés mais pouvant intégrer rapidement des contributions extérieures, et suffisamment légers pour être projetés sur un théâtre européen ou à la périphérie de l’Europe.
Un QG de GFIM pourrait être un assemblage de trois composantes. Le noyau clé (3) sera le cœur du dispositif. Un groupe de dix à vingt officiers, tirés de l’état-major mère (4), sera affecté en permanence aux tâches de préparation de l’activité des groupes de forces. Un deuxième module, le noyau (5), d’une centaine d’officiers, sera défini dans l’état-major mère pour venir renforcer le noyau clé en cas de besoin ou d’activation du groupe de forces. En temps normal, ces officiers assurent d’autres missions dans l’état-major mère. Un troisième module sera composé de renforts (6). Ce sont les officiers qui seront envoyés par les nations contribuant à la formation du GFIM, au nom du droit de celles-ci à participer au commandement de la force de circonstance, en principe au prorata de leur apport en forces.
Il est prévu d’installer de tels quartiers généraux dans trois états-majors de la structure militaire de l’Alliance : le commandement régional Centre (Afcent), le commandement régional Sud (Afsouth) et le commandement de la force navale d’intervention de l’Atlantique (Strikefleetlant). La planification nécessaire à l’emploi de ces groupes de forces sera assurée par un état-major (7) installé à Mons auprès de celui du commandant en chef allié en Europe. Fort d’une cinquantaine de personnes, il se consacrera à la planification de circonstance.
Les essais
Avant de procéder définitivement à la définition de l’organisation et des structures de commandement puis à leur installation, des expérimentations viendront valider les concepts et confirmer les solutions proposées après une phase assez longue d’étude sur papier, sous le contrôle politique du Conseil de l’Atlantique Nord. L’exercice Allied effort s’est déroulé en novembre 1997 en Allemagne. Il avait pour but de tester un quartier général de GFIM terrestre. Les enseignements qui en seront tirés permettront d’établir ultérieurement les quartiers généraux de groupe de forces auprès de Afcent et de Afsouth. L’exercice Strong resolve permettra d’essayer les formules prévues pour un quartier général de GFIM embarqué. Il se déroulera en Atlantique en mars 1998 à bord du navire de commandement Mount Whitney mis à disposition par les États-Unis (8). Les Alliés qui pratiquent régulièrement les opérations extérieures ont pu apporter leur connaissance des forces de circonstance.
Par-delà ces essais formels, il est permis de se demander si les opérations en Bosnie et en Albanie n’ont pas permis de tester des GFIM en grandeur nature. De la même façon, les grands exercices du Partenariat pour la paix voient la constitution de forces de circonstance qui ressemblent, à petite échelle, à ce que pourraient être des GFIM.
Un concept ouvert
Le concept de groupe de forces interarmées multinationaux se présente donc comme une solution pour faire face à l’ensemble des crises qui pourraient affecter le continent européen ou ses environs. Par sa modularité et sa souplesse, c’est indiscutablement un concept d’avenir. Il est donc de l’intérêt des Alliés de le concevoir comme un moyen ouvert.
À la suite de la réunion ministérielle de l’Otan de Berlin en juin 1996 et de la session ministérielle de l’UEO en novembre 1996 à Ostende, des efforts réels et fructueux ont été entrepris pour permettre à l’Union de l’Europe occidentale de disposer, le moment venu et à la suite de décisions politiques, de moyens de l’Otan. Les GFIM pourraient se situer dans la gamme de ces moyens. La mise en place d’un adjoint européen du commandant en chef allié en Europe ouvre, en ce domaine, la voie à d’intéressantes combinaisons.
Dans quelle mesure l’Acte fondateur Otan-Russie donne-t-il vocation aux Russes à se joindre aux GFIM ? Si la participation à l’élaboration du concept et à la détermination de la doctrine d’emploi n’est pas d’actualité, les termes mêmes de l’Acte (coopération dans le domaine des opérations multinationales, incluant les opérations de maintien de la paix (...) et, si des GFIM sont utilisés, dans de tels cas, participation à leur constitution à un stade précoce) envisagent expressément une contribution au commandement et à la constitution d’un groupe de forces. Au reste, la Sfor, actuellement à l’œuvre en Bosnie, comprend une brigade russe. Elle permet la mise au point de méthodes de commandement et de procédures qui développent l’interopérabilité des forces russes avec celles de l’Otan.
Dans son discours de Madrid, en juillet 1997, le président de la République a fixé les éléments de l’apport français à la préparation de l’avenir de l’Otan. « Il reste ensuite à mettre en place des structures militaires plus légères, plus souples, en un mot plus adaptées aux nouvelles formes de menaces, moins coûteuses, plus efficaces. (...) Je vous confirme la participation de la France aux groupes de forces interarmées multinationaux ». Pour l’heure, la France conserve donc sa position à l’égard de la structure militaire de l’Otan prévue pour la mise en œuvre de l’article 5, et joue un rôle actif dans la mise sur pied des structures de commandement et d’action pour des situations ne relevant pas de l’article 5. Elle a ainsi participé, à sa mesure, à la définition du concept et contribué à l’expérimentation des groupes de forces.
25 novembre 1997
(1) GFIM ; en anglais : Combined Joint Task Force (CJTF). NDLR : ce thème avait été abordé par M. André Dumoulin dans notre livraison de novembre 1994. Cette chronique constitue une mise à jour fort bienvenue.
(2) QG de GFIM ; en anglais : Combined Joint Task Force/Headquarter (CJTF/HQ).
(3) En anglais : key nucleus.
(4) En anglais : parent HQ.
(5) En anglais : nucleus.
(6) En anglais : augmentees.
(7) En anglais : Combined Joint Planning Staff (CJPS).
(8) Les préparatifs de cet exercice ont déjà montré l’intérêt stratégique de la possession d’un navire de commandement.