Afrique - À quand la réforme de la coopération française en Afrique ?
Une fois de plus, depuis les élections législatives de 1997 et le changement de majorité politique gouvernementale en France, le débat sur la réforme de la coopération française resurgit. De nouveau, une réflexion a été engagée par les ministères concernés (principalement les Affaires étrangères et la Coopération, l’Économie et les Finances, la Défense) pour élaborer un nouveau projet, dont les termes et le calendrier de mise en œuvre devraient être annoncés au début de l’année 1998.
L’idée d’une réforme dans ce domaine et la question du maintien d’un organisme ministériel spécialement chargé de la coopération avec l’Afrique font en réalité l’objet de débats, de controverses et de propositions depuis le début des années 60. L’argument le plus généralement avancé en faveur d’une telle réforme est celui de la dispersion et de la confusion des structures chargées des relations avec les pays du Sud. On constate en effet que cette aide est gérée par le ministère de l’Économie et des Finances (relations avec le FMI et la Banque mondiale, dette, zone franc, protocoles financiers, etc.), le ministère des Affaires étrangères (principalement à la direction générale des relations culturelles scientifiques et technique), le secrétariat d’État à la Coopération, l’Éducation, la Recherche, l’Intérieur, ou au sein d’autres organismes publics, tels que la Caisse française de développement.
Le second argument concerne les relations entre la France et l’Afrique. La question posée est celle de savoir si, près de quatre décennies après les indépendances, une organisation particulière doit être maintenue pour mener les relations privilégiées de la France avec une partie de l’Afrique, baptisée traditionnellement « pays du champ », ou si, tout en maintenant une priorité à ces pays dans la répartition de l’aide, il faut normaliser nos relations avec eux. Ce problème est en réalité beaucoup plus important qu’il n’y paraît, puisqu’il est l’un des éléments clés qui conditionnent l’évolution de la politique africaine de la France. Face à un de Gaulle jamais vraiment convaincu, Jacques Foccard a toujours réussi à faire prévaloir le maintien d’une relation particulière avec les pays du champ et à écarter toute dynamique de réforme. Jusqu’à sa mort, il s’est battu dans ce sens, y compris auprès de Jacques Chirac après son élection à la présidence de la République, et malgré les efforts du Premier ministre Alain Juppé. Face à un François Mitterrand, pour le moins ambigu dans sa politique africaine, ni Jean-Pierre Cot, ministre de la Coopération en 1981-1982, ni Michel Rocard, Premier ministre en 1988, n’ont pu non plus débloquer ce dossier de la réforme de la coopération. Quelles que soient les nouvelles perspectives qui peuvent se présenter aujourd’hui, on est bien obligé de constater que, si la question d’une réforme de la coopération — et par elle celle de la redéfinition d’une politique africaine pour la France — reste parfaitement pertinente, elle doit être posée dans des termes nouveaux qui tiennent compte des grandes évolutions politiques, économiques et stratégiques récentes.
D’abord, la tendance notable à la baisse de l’aide publique au profit des pays développés et à sa concentration vers les plus pauvres. Elle concerne aussi la France qui voit ainsi son aide (territoires d’outre-mer inclus) passer de 42,1 milliards de francs (0,55 % du PIB) en 1995 à 34,7 milliards (0,41 % du PIB) en 1998, selon les dernières prévisions budgétaires. Sur ce total pour 1998, l’aide bilatérale gérée par le ministère de la Coopération ne représente que 3,5 milliards de francs. Le total de l’APD des pays de l’OCDE est passé de 58,8 milliards de dollars en 1995 à 55 milliards en 1996.
Ensuite, il y a la tendance à la multilatéralisation de l’aide, en particulier en faveur de la Banque mondiale et du FMI d’une part et de l’Union européenne d’autre part. En 1997, hors l’aide aux Tom qui s’élève à 4,7 milliards de francs, le montant de l’aide bilatérale française s’est élevé à 22,7 milliards, alors que celui de la part multilatérale a atteint 9 milliards. Le poids des institutions de Bretton Woods et l’engagement français dans l’Union européenne sont devenus deux éléments essentiels à partir desquels une réforme de la coopération doit être redéfinie. En 1996, selon les statistiques de l’OCDE, l’APD des six principaux bailleurs de l’Union européenne (France, Allemagne, Pays-Bas, Royaume-Uni, Italie et Danemark) s’élevait à plus de 25 milliards de dollars, alors que le montant de l’aide du Japon atteignait 9,4 milliards de dollars et celui de l’aide américaine 9 milliards. La France, qui se proclame ardent défenseur de l’aide aux pays du Sud et champion de l’appui au développement de l’Afrique, a sans conteste un rôle important mais difficile à jouer au sein de l’Union européenne dans ce domaine.
Enfin, entrent en ligne de compte les problèmes de l’immigration (et celui, essentiel pour nos relations avec l’Afrique, des visas), les nouvelles règles du commerce international, l’environnement, les exigences du maintien de la paix et de la prévention des conflits, l’appui aux processus de démocratisation et les conditions politiques de l’aide, la nécessité d’organiser et de faire vivre une coopération nouvelle avec celle qui existe entre les États, l’importance majeure des technologies de l’information et des occasions favorables qu’elles peuvent offrir aux pays en développement : la liste des enjeux internationaux sur lesquels doit se reconstruire une nouvelle coopération française est bien longue. Elle montre en tout cas clairement qu’il ne s’agit plus aujourd’hui de tergiverser sur des vieilles querelles politico-administratives franco-françaises qui n’intéressent d’ailleurs ni l’opinion publique, ni nos interlocuteurs des pays du Sud, en particulier la nouvelle génération montante.
Avant d’élaborer une réforme des structures françaises de l’aide et de la coopération, qui risquerait fort de faire beaucoup de bruit pour peu de résultats significatifs, il serait sans doute utile de définir un nouveau contenu plus moderne et plus convaincant de cette coopération et de lui donner un cadre politique clair et cohérent, notamment vis-à-vis de l’Afrique qui reste le destinataire principal de cette aide française. ♦