La noblesse au Royaume de France
Philippe Contamine, membre de l’Institut, est l’un de nos plus éminents médiévistes. De là résulte sa familiarité avec l’art militaire. Spécialiste de la guerre de Cent Ans, c’est un intime de Jeanne d’Arc. Président du conseil scientifique au centre d’études d’histoire de la défense, il a dirigé la rédaction du premier tome de l’Histoire militaire de la France (1). Dans son dernier livre, il nous fait les honneurs de la noblesse « au royaume de France », en une période charnière qui va de 1280 à 1510. L’ouvrage, érudit et plaisant à la fois, foisonne de détails concrets et souvent pittoresques, rapportés dans le délicieux français ancien. Au fil des chapitres, nombre et structures, train de vie, éducation, identité nobiliaire, vie religieuse, valeurs et vanités, rapport à la société et au roi, nous sont présentés. Pourtant, de ce très riche panorama, un thème majeur se détache, celui de la légitimité.
D’où la noblesse tient-elle sa légitimité ? Ce n’est pas une vaine question que pose Eustache Deschamps : Comment est l’un villain et l’autre prent le nom de gentillesse ? Le service des armes est la première réponse. Les nobles en ont le monopole, soit qu’ils en usent pour leurs propres affaires, soit qu’ils obéissent à la « semonce » du roi pour constituer son ost : Pour vestir fer et en armes combattre / Dieu et nature ont noblesse ordonnée (Georges Chastellain). Il est une autre réponse, non moins importante : la vertu, chrétienne il va de soi. Il appartient aux nobles de reluyre en vie et en meurs par devant tous aultres et doibvent donner à tous exemple de tout bien et toute honnesteté (Jacques d’Ableiges). La chevalerie porte à son point de perfection cette alliance des armes et de la vertu, et l’adoubement est un quasi-sacrement. C’est dire qu’il n’y a pas dans la noblesse française, tenue dans toute la chrétienté comme la plus digne, « l’exaltation orgueilleuse de la force » que l’on rencontre en d’autres pays d’Occident. Bien guerroyer sans doute, mais aussi être gais et joliz !
De cet idéal proclamé résulte que la noblesse est fort bien acceptée tant qu’elle illustre convenablement son état, qu’elle « vit noblement » et qu’elle fait face efficacement aux menaces étrangères. La jacquerie de 1358 fut suscitée par les revers initiaux de la guerre de Cent Ans : les Jacques s’en prenaient aux nobles, coupables de ne point les avoir protégés. À cette contestation sociale eût pu s’en ajouter une autre, venant du roi attaché, en cette fin du Moyen Âge, à la constitution d’un État « moderne ». Le modus vivendi fut heureux, le roi ayant besoin des nobles et ceux-ci, en une période difficile pour eux, ayant besoin du roi. Il faudra attendre le XVIIIe siècle pour voir la noblesse, sans doute gâtée par les « honneurs de cour », vigoureusement mise en cause.
Qu’en reste-t-il ? Un beau modèle ! Le modèle peut nourrir quelques nostalgies. Il n’a pourtant jamais cessé d’inspirer l’éthique militaire française. C’est à juste titre que les soldats d’aujourd’hui, en leurs combats vertueux, peuvent s’en réclamer. ♦
(1) Histoire militaire de la France, tome I, des origines à 1715 ; Presses universitaires de France.