Marine - Le concept national des opérations amphibies
En l’absence de menace militaire directe à proximité des frontières de la France, il est devenu « trivial » de dire que les armées seront appelées, dans les années à venir, à agir toujours plus fréquemment hors du territoire national. Les modalités de cette action extérieure couvrent un large éventail qui va du prépositionnement d’unités dans les régions en crise à la projection d’une force interarmées d’intervention puissamment équipée, en passant par l’intervention immédiate d’un groupement interarmées de volume limité.
De ce contexte, largement décrit dans le concept d’emploi des forces signé par le chef d’état-major des armées en juillet dernier, se déduisent les notions de mobilité stratégique, de projection de puissance et de projection de forces. Cette dernière suppose le déploiement sur le terrain de troupes équipées de leurs moyens de commandement, de combat et de soutien. Dès lors que ces troupes sont acheminées par voie maritime et pour peu que leur mise à terre s’effectue sous menace, il devient indispensable de « monter » une opération amphibie.
La lutte amphibie évoque irrésistiblement les opérations de débarquement qu’ont menées les armées alliées en Europe et dans les îles du Pacifique durant la Seconde Guerre mondiale. Certes, des opérations de cette ampleur, qui ont mobilisé pendant plus de deux ans les énergies de nations en état de guerre, ne sont plus à notre portée aujourd’hui. Par contre, des opérations de moindre ampleur menées à partir de la mer, telles que l’installation d’une force dans un territoire où règne l’insécurité ou l’évacuation de ressortissants menacés par des bandes armées, doivent être réalisables.
Depuis les années 70, les capacités amphibies des armées françaises se limitaient au transport et, en l’absence de menace, à la mise à terre sur une côte non préparée d’une unité de la valeur d’un régiment mécanisé. Le milieu dans lequel peuvent être employées désormais nos forces nécessitait d’envisager une évolution du concept. Il y a trois ans, le chef d’état-major des armées enconfiait donc l’actualisation à la commission interarmées des études amphibies.
La plupart des grands pays européens mènent une réflexion similaire à la nôtre. Les Britanniques, en particulier, affichent clairement leur ambition de pouvoir projeter une brigade sur une côte potentiellement hostile sans avoir recours à un port ni à un aéroport. Cependant, ils précisent qu’il n’est pas question de débarquer là où existe une menace significative. Les Pays-Bas ont une appréciation identique à celle des Britanniques par le biais de la force amphibie anglo-néerlandaise. Pour leur part, l’Espagne et l’Italie étudient un concept d’emploi de la force hispano-italienne créée en 1995.
Les conclusions des travaux des états-majors français ont abouti à l’élaboration d’un nouveau concept national des opérations amphibies. Approuvé par le Cema en juin dernier, ce concept plus offensif que le précédent prévoit de pouvoir agir contre une côte hostile faiblement tenue. La force terrestre engagée n’est plus un régiment, mais un groupement de 1 400 hommes composé d’éléments venant d’unités organiques diverses, et structurés selon le principe de modularité. Par ailleurs, l’adoption des procédures, des techniques et de la terminologie de l’Otan y est affirmée.
Les conséquences de cette évolution conceptuelle sont importantes. En effet, puisqu’il n’est pas question d’affronter des forces ennemies solidement implantées, l’idée de manœuvre d’une opération amphibie consiste dans un premier temps à forcer l’adversaire à éparpiller son potentiel de défense dans l’ensemble de la zone littorale pour pouvoir, dans un deuxième temps, intervenir sur un point peu défendu qu’il faut rapidement « sécuriser » avant de mettre à terre les troupes et leurs équipements. L’effet de surprise apparaît alors comme l’un des principaux facteurs déterminants de succès. Il dépend essentiellement de l’entraînement des unités, de leur interopérabilité, et de l’aptitude à effectuer rapidement les mouvements entre les navires de transport et le rivage.
La réalisation de cette capacité conduit à s’orienter vers l’héliportage de la première vague d’assaut, le débarquement du reste du personnel et celui du matériel s’effectuant par engins nautiques rapides, capables de « plager » dans des conditions d’environnement sévères. Avec une vingtaine d’années de retard sur l’armée américaine, les forces amphibies européennes s’équipent aujourd’hui d’une panoplie de moyens qui répond à un tel scénario.
S’appuyant sur le concept national des opérations amphibies, les états-majors français préparent le programme du nouveau transport de chaland de débarquement NTCD, dont la loi de programmation militaire prévoit la commande de deux exemplaires en remplacement des TCD Orage et Ouragan conçus dans les années 60. Les réflexions initiales, menées par la marine, sont maintenant reprises au sein du système de forces interarmées « mobilité stratégique et tactique ».
Ces nouveaux bâtiments devraient beaucoup différer des TCD actuels, car ils seront de véritables porte-hélicoptères, interopérables avec les moyens des armées françaises et avec ceux des pays de l’Alliance, et offrant de grandes capacités et une importante polyvalence dans le domaine du transport. De plus, dans des situations autres que celle d’une opération purement amphibie, ils devront pouvoir accueillir un poste de commandement interarmées permettant de conduire depuis la mer une action au niveau « opératif ».
La cohérence de ce programme passe par le remplacement des chalands de transport de matériel, inadaptés aux opérations amphibies car trop lents et mal protégés, par l’accroissement des capacités d’appui que les forces navales doivent pouvoir apporter aux unités à terre (appui feu, logistique, etc.), et enfin par l’amélioration de la coordination de l’emploi de l’arme aérienne au-dessus de la zone de débarquement.
De façon plus générale, c’est toute la problématique des opérations navales à proximité des côtes qui s’offre à la pensée stratégique maritime. La marine s’y est résolument engagée depuis le début de la décennie. ♦