Afrique - La Misab : une mission efficace en République centrafricaine
Un régime politique discrédité, une économie déstabilisée et délabrée, une situation sociale explosive, notamment marquée par une accumulation des arriérés des salaires des fonctionnaires, des tensions ethniques plus que préoccupantes, des forces armées complètement désorganisées et posant de sérieux problèmes de fiabilité : la République centafricaine d’Ange-Félix Patassé est sortie fortement ébranlée par la profonde crise qu’elle traverse depuis 1996, en raison, en particulier, des trois mutineries militaires qui se sont produites depuis cette date. Pour éviter un désastre, il avait fallu, en décembre 1996 lors du sommet franco-africain de Ouagadougou, l’initiative politique des chefs d’État du Gabon, du Burkina Faso, du Tchad et du Mali, et la mise en place d’un comité dirigé par Amadou Toumani Touré, ancien président du Mali, pour aboutir aux accords de Bangui du 25 janvier 1997 et surtout à la mise en place de la Misab, Mission interafricaine de surveillance des accords de Bangui en février 1997. Cette force africaine, soutenue financièrement et logistiquement par la France, a permis de stabiliser la situation intérieure et d’ouvrir la voie à une solution politique de la crise centrafricaine
Avec le recul, cette expérience de la Misab est aujourd’hui considérée comme une expérience extrêmement positive à bien des égards. Elle a montré qu’une initiative africaine et une implication d’un groupe de pays du continent pouvaient engendrer une intervention politico-militaire capable d’accomplir sa mission avec succès et de ramener la paix dans un environnement particulièrement difficile. D’autant plus que ce succès était loin d’être évident au départ pour ce contingent de 700 hommes regroupant des unités de six pays : le Gabon, le Tchad, le Sénégal, le Mali, le Togo et le Burkina Faso.
Le rôle de la Misab aura en tout cas été déterminant dans l’évolution du processus de décision français relatif au redéploiement des forces stationnées en Afrique. En réussissant à stabiliser la situation politico-militaire, la Misab a en effet permis de confirmer l’option du retrait de Centrafrique des éléments français d’assistance opérationnelle (EFAO) et d’appliquer cette décision dans des délais rapides, puisqu’en avril 1998, après un siècle de présence militaire française effective dans ce pays, le retrait de la totalité des forces pouvait être réalisé. Paris parvenait ainsi à sortir de son enlisement en Centrafrique qui, à plusieurs reprises, l’avait mis dans la situation délicate d’intervenir contre son gré dans la crise politique intérieure, et de cautionner de fait un régime et des pratiques vis-à-vis desquels on souhaitait du côté français prendre ses distances. Paris a pu également commencer à faire la démonstration que le redéploiement d’ensemble de son dispositif militaire en Afrique, son réajustement fonctionnel et son allégement (de 8 000 hommes environ actuellement à 5 500 en 2002) pouvaient être compatibles avec les nouvelles orientations concernant la sécurité du continent.
Compte tenu de la situation intérieure en Centrafrique, provisoirement stabilisée, mais encore incertaine dans la mesure où les problèmes de fond sont encore loin d’avoir été réglés de manière satisfaisante, il fallait, à l’échéance de la mission de la Misab à la mi-avril 1998, et à la suite du départ des militaires français pratiquement au même moment, mettre en place un dispositif politico-militaire capable de maintenir le processus de stabilisation, au moins jusqu’aux prochaines élections prévues fin 1998. La seule formule acceptable est très vite apparue aux yeux de toutes les parties directement concernées : transformer la Misab en une force des Nations unies. Les efforts déployés pour faire aboutir une solution de ce type se sont heurtés aux fortes réticences américaines. Washington a en effet confirmé son hostilité à la mise en place d’une nouvelle force de casques bleus en Afrique, alors que, depuis 1993 et le retentissant échec en Somalie, la diplomatie américaine est mobilisée pour réduire les engagements de l’Onu dans le domaine du maintien de la paix, dans le monde en général et en Afrique en particulier. Ces réticences avaient été clairement manifestées lors des crises rwandaises et zaïroises, à l’occasion desquelles aucune tentative d’intervention de forces onusiennes n’avait pu aboutir.
Finalement, après avoir refusé tout engagement militaire ou financier, l’Administration Clinton a laissé approuver à l’unanimité par le Conseil de sécurité, le 27 mars dernier, le projet de mise en place d’une force de casques bleus en Centrafrique, permettant ainsi la création de la Minurca, Mission des Nations unies en République centrafricaine. Cette force, qui a commencé à la mi-avril à se déployer dans cet État, dispose dans un premier temps d’un mandat limité à trois mois et comprend 1 350 hommes, dont des contingents des six pays participant à la Misab, renforcés par des éléments ivoiriens, canadiens et français. Ces derniers (215 hommes) ont accepté d’assurer, au sein de la Minurca, des missions exclusivement logistiques et sanitaires.
La Misab ayant officiellement réglé les problèmes relatifs aux mutineries et aux dernières résistances armées des rebelles de l’armée centrafricaine, la Minurca a pour mission de maintenir la sécurité, ramasser les armes de guerre dans le pays, assurer l’ordre dans la capitale, apporter une aide à la formation de policiers. Elle devra en outre, ce qui suppose son renouvellement, fournir un appui technique pour la préparation des élections législatives annoncées pour le mois de septembre. Pour assurer ces missions, elle dispose de six compagnies d’infanterie motorisées, d’une compagnie d’infanterie, de blindés légers et de mortiers lourds.
La Minurca, première force de maintien de la paix des Nations unies depuis cinq ans (il ne reste plus dans le continent que deux forces onusiennes, la Minurso au Sahara occidental qui comprend à peine 230 hommes, et la Monua en Angola avec environ un millier d’hommes), mise en place malgré les réticences américaines, reste considérée par les observateurs comme une exception à la tendance générale qui voit le rôle des Nations unies dans le maintien de la paix se réduire, notamment au profit d’autres types d’opérations politico-militaires. Malgré les espoirs suscités dans les milieux onusiens par ce succès diplomatique et les efforts déployés par le secrétaire général des Nations unies Kofi Annan pour relancer la dynamique de maintien de la paix en Afrique, on peut raisonnablement penser que la communauté internationale continuera à avoir des difficultés à se mobiliser pour lancer de nouvelles opérations de grande ampleur dans ce continent.
Pour ce qui concerne la Centrafrique, il apparaît qu’après le retrait des forces françaises, ce pays sera un test de l’évolution de la nouvelle politique de coopération, en particulier de la coopération militaire bilatérale maintenue conformément aux accords en vigueur et qui devra désormais contribuer à une restructuration des forces armées centrafricaines en tenant compte des progrès de la démocratisation. ♦