Défense dans le monde - Vu de Minsk
La Biélorussie se présente comme un cas d’école en Europe. Indépendante seulement depuis 1991, elle doit tenir compte des conséquences de son appartenance à l’ancienne Union soviétique et, dans le même temps, définir sa position aussi bien par rapport aux concepts politiques et économiques de l’Europe de l’Ouest que par rapport aux principales organisations européennes. Le visiteur, de la capitale comme de sa province, ne peut manquer, en tout cas, d’être surpris par le sentiment de sécurité et de prospérité qui y règne, tant cette atmosphère est rare dans les contrées avoisinantes.
Le 24 novembre 1996, sur décision du président Loukatchenko, était organisé un référendum pour modifier la Constitution de 1994. Il s’agissait essentiellement de renforcer les pouvoirs présidentiels en transformant le mandat quinquennal en septennat. Les suites politiques de cette décision ont conduit à la dispersion du Parlement et à son remplacement par une assemblée plus docile et, en partie, désignée. Force est de reconnaître que l’opinion publique a apporté son soutien à cette opération qui fut perçue, à l’extérieur, comme un coup de force.
Ces difficultés de politique intérieure de la Biélorussie ne doivent pas masquer que ce pays fait montre d’une certaine stabilité politique et d’une non moins certaine constance dans ses orientations économiques, ce qui se traduit par un taux de croissance d’environ 10 % en 1997.
Un environnement incertain
La Biélorussie se trouve ainsi dans une situation exemplaire dans un environnement plutôt marqué par les aléas et les instabilités. Pour des raisons diverses, des pays limitrophes comme la Russie, la Lettonie et l’Ukraine n’affichent pas la même sérénité ni la même continuité dans les choix politiques et économiques. Cet avantage biélorusse non négligeable complique encore la situation de Minsk, dans la mesure où il lui faut tenir compte de cette juxtaposition génératrice d’envies et d’appétits.
Avec ses anciens alliés, les relations sont à la fois plus simples et plus compliquées. Vis-à-vis de la Pologne, le vieil antagonisme séculaire est toujours prompt à ressortir. De récentes difficultés à l’occasion d’un colloque tenu dans ce pays par l’opposition biélorusse montrent la sensibilité du dossier. Il est probable que l’adhésion de Varsovie aux principales organisations européennes ne modifiera guère la donne. L’attitude des Européens devra donc être particulièrement circonspecte.
À l’égard de la CEI et de la Russie, les choses paraissent moins limpides à l’observateur occidental. On sent confusément que la position de Minsk évolue entre deux intentions : d’une part, l’éloignement de Moscou pour bénéficier des effets de l’indépendance constitue une ligne de fond de la diplomatie biélorusse et c’est sur le rythme de concrétisation de ce choix qu’interviendraient des clivages entre le gouvernement et l’opposition ; d’autre part, cette logique politique s’oppose aux impératifs économiques, notamment la préservation des marchés biélorusses existant dans les pays de l’ex-Union soviétique. La CEI, avec ses douze membres, paraît aux dirigeants biélorusses un bon moyen pour entretenir le dialogue économique avec la Russie en évitant le tête-à-tête que les anciens satellites redoutent par défaut de moyens de résister aux appétits russes.
Bien que la Biélorussie n’ait pas de façade sur la mer Baltique, sa position géographique conduit les États riverains à souhaiter sa présence aux différents forums qui traitent de la sécurité de cette région.
Avec l’OTAN : un service minimal
Le décalage culturel et les difficultés budgétaires ne permettent pas aux Biélorusses d’entretenir des relations suivies avec l’Alliance. À maints égards, leur inscription au Partenariat pour la paix et le siège dont ils disposent au Conseil de partenariat euroatlantique paraissent bien formels. Cette situation est à l’opposé de celle des pays limitrophes. La Russie est liée à l’Alliance par l’acte fondateur de mai 1997, l’Ukraine par la charte de partenariat spécifique de juillet 1997. Les États baltes peuvent s’appuyer sur leurs relations avec les États-Unis et les termes du communiqué de Madrid de juillet dernier. Tous les voisins occidentaux de la Biélorussie préparent, à des échéances diverses, leur adhésion à l’Otan.
Dans cette mosaïque, la Biélorussie est donc la seule à ne pas disposer d’une relation bien définie et personnalisée. Il est sûr que les événements de 1996 ne sont pas étrangers à ce relatif dédain de l’Otan, mais cette relation gagnerait à être plus adaptée.
Avec l’Union européenne, une situation évolutive
La Biélorussie a vocation à bénéficier du soutien de l’Union européenne. À ce titre, Minsk est éligible au programme Tacis de soutien à la démocratisation et au développement économique dont l’Union se sert pour contribuer à la stabilisation de sa périphérie orientale et slave.
Cependant, les événements de 1996 n’ont pas laissé Bruxelles insensible : les entorses à la démocratie ont eu des répercussions sur les relations économiques entre l’UE et la Biélorussie. Une commission d’enquête européenne s’est rendue sur place en janvier 1997, puis un long processus décisionnel aboutissait en septembre à une position gelant le programme Tacis et réduisant au minimum les relations bilatérales. En outre, la négociation de l’accord de partenariat et de coopération n’a pas été lancée. Toutefois, deux domaines de coopération étaient préservés : le soutien à la protection des droits de l’homme et à la liberté des médias. L’attitude générale est donc assez ferme.
Les suites de ces décisions déjà anciennes doivent être envisagées dans la perspective de l’élargissement de l’Union, notamment à la Pologne. L’application aux frontières orientales de ce pays des dispositions de Schengen devrait conduire à la fermeture de cette frontière, notamment au commerce transfrontalier qui assure bien souvent la subsistance des populations des deux pays vivant dans la bande frontalière. Des mouvements d’humeur de l’opinion publique qui prendrait l’Europe comme bouc émissaire ne sont alors pas à exclure. Après avoir fait l’objet de l’ostracisme de l’Union européenne, la Biélorussie pourrait donc avoir à supporter les inconvénients douaniers et policiers de son élargissement.
L’expérience de l’OSCE
La réaction de l’Organisation sur la sécurité et la coopération en Europe aux événements de 1996 s’est ajoutée à celle de l’Union européenne. L’Organisation de Vienne a décidé l’installation d’un « groupe d’observation et d’assistance » pour la Biélorussie. Son mandat a été établi le 18 septembre 1997 après une longue période de négociations. Le traitement réservé à ce pays n’est pas exceptionnel, puisque de telles missions existent déjà, mais pour des raisons différentes, dans dix pays de l’ancienne Union soviétique.
Installé à Minsk depuis février 1998, Monsieur Wieck, diplomate allemand habitué à la culture politique des pays de cette zone, a reçu quatre missions : aider la Biélorussie à préparer une législation plus conforme aux canons démocratiques, en vérifier l’application, organiser l’assistance à la formation d’experts en ce qui concerne les droits de l’homme, et améliorer les institutions démocratiques du pays. Ce travail s’inscrit dans une perspective de long terme et à faible éclairage médiatique. Les expériences précédentes ont montré l’efficacité de cette méthode.
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La Biélorussie n’est pas assez forte pour s’organiser seule face à une situation aussi complexe avec l’Europe. L’intérêt commun pourrait alors aller dans le sens d’un engagement occidental plus attentionné dans le destin de ce pays aux marches du continent : éternel débat sur l’avantage d’un dialogue critique.
7 juin 1998