Marine - Le point sur le porte-avions Charles-de-Gaulle
Prévu dans la loi de programmation 1984-1988, le programme « porte-avions nucléaire » a été lancé en février 1986. Le Charles-de-Gaulle a été mis à flot en mai 1994. La prise d’armement pour essais a eu lieu en février 1997. Plusieurs étapes décisives viennent d’être franchies ces dernières semaines. Après les premiers essais très prometteurs du système de combat et des lancements de maquettes d’avions qui ont confirmé les vitesses de sortie de catapulte attendues, les deux chaufferies nucléaires ont divergé, donnant au porte-avions son autonomie énergétique. Les installations propulsives sont maintenant soumises à plusieurs séries d’essais intensifs préparant le premier appareillage du bâtiment à l’automne.
Le besoin opérationnel
Le besoin exprimé par la marine spécifiait que le porte-avions devait :
— rester compatible avec les installations portuaires existant à Brest et à Toulon, ce qui limitait son tonnage aux environs de 40 000 à 45 000 tonnes ;
— être capable de mettre en œuvre 35 à 40 avions de la classe 15 à 25 tonnes, de jour comme de nuit, dans des conditions de mer allant jusqu’à force 6 ;
— être capable de se déplacer sans limitation de durée ;
— disposer de capacités en combustible et en munitions pour plusieurs jours d’opérations à forte activité ;
— disposer d’une autonomie en vivres de 45 jours pour un équipage de 1 900 personnes, avec la capacité de soutenir 800 personnes supplémentaires pendant un mois ;
— disposer de moyens performants de défense antimissiles.
La réponse industrielle
Pour les industriels, construire un porte-avions nécessitait de réactiver des équipes dissoutes depuis près de vingt ans. Il fallait construire un prototype qui réponde au besoin militaire. Les solutions techniques arrêtées ont été les suivantes :
— la propulsion nucléaire pour assurer l’autonomie demandée ;
— une superficie de pont d’envol très sensiblement accrue et des catapultes plus puissantes pour mettre en œuvre le Rafale et le Hawkeye ;
— une stabilisation du bâtiment pour permettre la mise en œuvre des avions par mer forte ;
— une intégration poussée des systèmes de combat, mais aussi des services, pour armer le bâtiment avec un équipage limité.
Les solutions techniques
La propulsion
La propulsion est assurée par deux chaufferies nucléaires, développant 78 000 CV, entraînant deux lignes d’arbres et assurant au porte-avions une vitesse de 27 nœuds. La vapeur fournie par les chaufferies alimente également les deux catapultes et les quatre turboalternateurs de 4 MW de l’usine électrique.
Les installations d’aviation
Raison d’être du porte-avions, les futurs avions embarqués ont dimensionné les installations. La superficie du pont d’envol est passée de 8 800 m2 sur les porte-avions type Clemenceau à 12 000 m2 sur le Charles-de-Gaulle, en élargissant le pont d’envol et en allongeant la piste oblique. Cela a permis d’installer des catapultes de 75 mètres et des brins d’arrêt plus puissants.
Pour l’appontage, le pilote a le choix entre l’optique traditionnelle, récupérée sur le Clemenceau, et l’utilisation de repères sur le pont d’envol avec son viseur tête haute (HUD). Grâce à l’espace libéré par l’énergie nucléaire, le hangar a été agrandi ; les soutes à combustible et à munitions sont plus volumineuses.
Le système de stabilisation
Pour mettre en œuvre les avions par mer force 6, le bâtiment a été équipé d’un système de stabilisation. Piloté par ordinateur, il utilise deux paires d’ailerons installés le long de la coque, mais aussi les gouvernails, pour limiter le roulis. De plus, deux trains de wagonnets en métal, situés sous le pont d’envol, permettent de compenser la gîte créée par le vent traversier ou la giration du bâtiment. Ce système va permettre d’équilibrer 4 degrés de gîte en 30 secondes et son fonctionnement est coordonné avec celui des stabilisateurs.
Le système de stabilisation existe déjà sur les frégates type La Fayette et l’ensemble du système, wagonnets compris, a été testé sur une maquette de 6 mètres de long, en utilisant des données recueillies sur les porte-avions Clemenceau et Foch.
L’intégration du système de combat
Le Charles-de-Gaulle sera le bâtiment doté du système de combat le plus élaboré de la marine française. Il aura la capacité de contrôler une zone circulaire de 250 nautiques de rayon et de suivre la situation d’un théâtre d’opérations au profit d’un état-major de forces embarqué.
Trois cœurs logiciels gèrent le système de commandement, le système de combat et le système de gestion des transmissions extérieures. Ils dialoguent entre eux et sont également reliés à un ensemble de sous-systèmes avec lesquels ils échangent des informations ou dont ils utilisent simplement les données. Ainsi, le système de navigation intègre les données de trois centrales à inertie et de moyens de navigation radioélectriques, dont le GPS, et fournit ses informations de position et de mouvements selon les trois axes à tous les systèmes du bord qui en ont besoin. Celles-ci circulent par le support de grande diffusion qui relie entre eux tous les systèmes et organise la circulation des différents flux de données. Vers l’extérieur, une cinquantaine d’antennes et trois systèmes de communications par satellite permettent au porte-avions de prendre toutes les fréquences tactiques et d’être en liaison avec les différents centres de commandement à terre. Tous ces moyens sont gérés automatiquement par le système de gestion des transmissions extérieures (Sytex) qui attribue en temps réel les fréquences aux différents appareils, afin d’optimiser leur emploi et multiplier ainsi le nombre de fréquences utilisables, en tenant compte des restrictions des émissions électromagnétiques imposées par la situation tactique. Enfin, le système de défense et de commandement intègre et gère les informations recueillies par les différents équipements du bord, radars, moyens infrarouges et d’écoute, ainsi que ceux des bâtiments et aéronefs dans la zone d’opérations, grâce aux liaisons de données dont il est équipé (liaisons 11 et 16). Le système met en œuvre également les moyens d’autodéfense du porte-avions, composés du Saam et du Sadral. Le Senit 8 (système d’exploitation naval des informations tactiques) constitue le cœur de ce système capable de gérer 2 000 pistes en même temps. Six millions de lignes de logiciels et huit ordinateurs en assurent le fonctionnement.
Cette intégration poussée est le fruit de douze années de travail effectué sur une plate-forme d’intégration à Toulon qui a permis de valider les solutions techniques. Certains systèmes ont été installés sur le Foch pour être éprouvés.
La suite du programme
Les chaufferies nucléaires ont divergé au mois de mai. Après une série d’essais à quai, le porte-avions ira sur coffre pour subir des tests en autonomie complète, avant son départ à la mer à l’automne. Les premiers appontages sont prévus à la fin de l’année avec le Super-Étendard et le prototype du Rafale, après les essais de propulsion et de stabilité de la plate-forme. Une seconde série d’essais aura lieu dans le courant de l’année 1999 pour tester le système d’armes et embarquer le Hawkeye. Le porte-avions subira ensuite un essai d’endurance pendant trois mois avant d’être admis au service actif.
De nouvelles capacités opérationnelles
Les capacités militaires d’un porte-avions sont d’abord celles des aéronefs qu’il est capable d’embarquer. Les installations d’aviation du Charles-de-Gaulle lui permettent de mettre en œuvre des aéronefs plus lourds, capables d’intervenir à plus grande distance avec plus d’armement. Le Hawkeye va renforcer considérablement les capacités de surveillance et de contrôle de l’espace aérien, particulièrement en basse altitude, et par là, l’efficacité des intercepteurs ; le Rafale, avec plus de 10 tonnes de charge utile, équipé du missile Scalp, permettra de quadrupler le rayon d’action des missions offensives ; la grande précision de ces nouvelles munitions améliorera leur efficacité sur l’objectif et permettra de réduire le nombre de missions offensives sur un même objectif, ou d’en détruire un plus grand nombre.
Avec la stabilité de plate-forme, les avions pourront être mis en œuvre dans des conditions de mer plus rudes, en particulier de nuit. Cette stabilité facilitera également les mouvements d’avions sur le pont pour la préparation des pontées par mauvaise mer ou pendant les évolutions du porte-avions.
Grâce à la propulsion nucléaire, beaucoup de volumes de stockage pour le carburant des avions et les munitions ont pu être récupérés. Enfin, l’intégration du système de combat et l’utilisation de nombreux systèmes informatiques vont permettre de conduire le porte-avions avec un équipage réduit de 10 % par rapport au Foch.
Au bilan, avec un déplacement de 40 000 tonnes, c’est-à-dire légèrement supérieur à celui de ses prédécesseurs, le Charles-de-Gaulle aura les capacités d’un porte-avions de 60 000 tonnes. Il pourra mettre en œuvre un groupe aérien de 40 avions ayant les mêmes caractéristiques que celles des avions embarqués sur les porte-avions américains. ♦