Die verhinderte Grossmacht. Frankreichs Sicherheitspolitik nach dem Ende des Ost-West-Konflikts
Depuis peu, des dissonances sont apparues entre Paris et Bonn à propos de la construction de l’Europe et on est conduit à s’interroger sur les causes des frictions qui troublent l’harmonie du couple franco-allemand. Pour les uns, il s’agit d’une brouille passagère qui ne menace pas la solidité de l’union conclue il y a plus de trente ans, tandis que d’autres considèrent que les difficultés qui ont surgi trouvent leur origine dans des malentendus qui se dissiperont lorsque les deux partenaires auront pris la mesure de leurs intérêts communs. Ainsi, les perceptions sont une réalité qui ne saurait être négligée par les analystes des relations internationales et La grande puissance entravée, qui traite de la politique de sécurité de la France après la fin du conflit Est-Ouest, met bien en évidence le rôle du facteur subjectif dans les rapports entre la France et l’Allemagne.
Ce livre réunit des textes discutés lors d’un séminaire de troisième cycle animé par le professeur Hanns Maull à l’université de Trèves pendant l’année 1994-1995. Pour mener à bien ce projet, il a bénéficié du concours de Michael Meimeth, un chercheur à l’Institut de science politique de l’université de la Sarre qui s’est spécialisé dans l’étude des problèmes de sécurité en Europe et a consacré sa thèse de doctorat à « La politique de détente de la France sous les présidences de Georges Pompidou et de Valéry Giscard d’Estaing ». Outre les travaux effectués par les étudiants et leurs professeurs, on trouvera dans ce recueil des contributions de personnalités extérieures comme Lothar Ruehl, qui fut secrétaire d’État à la Défense du gouvernement fédéral dans les années quatre-vingt, et Peter Schmidt, qui est l’un des meilleurs experts des questions de sécurité européenne à la Fondation « science et politique » de Ebbenhausen (Bavière). Placée sous le signe de l’interdisciplinarité et du dialogue, cette publication témoigne de la fécondité des études stratégiques outre-Rhin et de l’intérêt qu’on y porte aux nouvelles orientations de la politique de défense de la France depuis l’élection de Jacques Chirac à la présidence de la République.
Toutefois, le souci d’une présentation objective de la politique française est parfois contrarié par des préjugés et des partis pris qui risquent d’en brouiller la vision. Ainsi, certains auteurs déplorent que les successeurs du général de Gaulle continuent de sacrifier à une politique de « grandeur » sans avoir les moyens de leurs ambitions. Par ailleurs, ils affirment que la France s’est accommodée de la division du monde en zones d’influence en dépit d’une rhétorique prônant le dépassement de « l’ordre de Yalta » et que, par attachement à un système où elle jouissait d’un statut privilégié, elle aurait freiné le mouvement qui a débouché sur l’unification de l’Allemagne et la décomposition de l’Union soviétique. Enfin, ils laissent entendre que la construction européenne ne serait pour notre pays qu’un moyen de contenir les débordements de la puissance allemande et de faire payer par les autres le prix d’une politique d’intervention tous azimuts. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que des malentendus aient surgi entre la France et l’Allemagne pendant la dernière phase de la présidence de François Mitterrand, et que les tentatives d’adaptation de la politique française au nouvel environnement international sous la présidence de Jacques Chirac n’aient pas permis de les dissiper. En définitive, les hypothèques qui pesaient sur la politique de la France à l’ère du « gaullisme rose » n’auraient pas été levées avec l’avènement du « multilatéralisme gaulliste » ; et la « grande puissance » resterait toujours empêtrée dans des liens qui l’empêcheraient de participer activement aux actions internationales en vue du maintien et du rétablissement de la paix.
Il serait aisé de réfuter ces assertions et, s’agissant du prétendu attachement de la France au statu quo avant les bouleversements des années 1980-1990, il suffirait de rappeler que les gouvernements de la Ve République se sont prononcés dès l’origine contre le dialogue de bloc à bloc en ce qui concerne le désarmement, et qu’ils ont mené une action continue dans la CSCE pour faire tomber les barrières entre les peuples européens. Quant aux hésitations du président Mitterrand sur la position à adopter vis-à-vis du processus de l’unification allemande en 1989, elles ont donné lieu à des interprétations diverses et on relève que des analystes chevronnés des relations franco-allemandes comme Ingo Kolboom et le chancelier Kohl lui-même se sont abstenus de porter sur les fluctuations de la politique française à cette époque des jugements aussi tranchés que ceux qu’on trouve dans ce livre. Enfin, il est abusif de faire peser sur la France la responsabilité principale des errements européens dans la gestion de la crise yougoslave, et il convient de rappeler à cet égard la prudence dont fit preuve la diplomatie française lorsque se posa la question de la reconnaissance de la Slovénie et de la Croatie. Si ses avis avaient été suivis et si toutes les parties intéressées avaient fait preuve de discernement dans l’application du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, le déchaînement de la violence aurait sans doute pu être contenu dans la péninsule Balkanique ; mais en décembre 1991, le gouvernement allemand avait pris un parti différent et on sait qu’il réussit à imposer ses vues à ses partenaires sans trop se soucier des exigences d’une politique européenne commune.
Les nouvelles orientations de la politique française sont analysées avec soin et font généralement l’objet d’appréciations favorables, qu’il s’agisse du « plan Balladur » de 1993 tendant à la conclusion d’un pacte de stabilité en Europe ou des initiatives prises à partir de 1995 comme la participation sélective aux organisations militaires de l’Otan, la réforme du service militaire et la création d’une force de réaction rapide pour mettre un terme aux violences commises en Bosnie-Herzégovine et créer les conditions favorables à la conclusion d’un cessez-le-feu. Toutefois, le volet nucléaire de la politique de sécurité de la France continue de susciter des réserves en Allemagne, comme l’atteste un article solidement argumenté de Lothar Ruehl. Il rappelle à cette occasion les objections soulevées dans le passé par le gouvernement fédéral à l’encontre des armes nucléaires tactiques Pluton et Hadès, et souligne les ambiguïtés de la « dissuasion concertée » proposée par la France à l’automne 1995. Certes, des parlementaires allemands comme MM. Pflüger et Lamers n’ont pas exclu l’affectation des capacités nucléaires françaises et britanniques à la défense de l’Europe, le jour où celle-ci prendrait forme ; mais l’opinion dominante outre-Rhin continue de privilégier la garantie américaine et ne se préoccupe guère de lui trouver un substitut. Au demeurant, un débat sur cette question ne pourrait s’instaurer utilement que si l’Europe décidait de se doter des moyens d’une stratégie autonome. Or, la plupart des États membres de l’Union européenne répugnent à s’engager dans cette voie.
En revanche, les problèmes soulevés par l’insertion d’une « Identité européenne de sécurité et de défense » dans l’Alliance atlantique rénovée sont d’actualité, et on trouvera dans ce volume des observations pertinentes sur la continuité de la politique française en la matière. À cet égard, Peter Schmidt rappelle que la réforme de l’Otan est une vieille requête, formulée par le général de Gaulle dès son retour au pouvoir, et que les initiatives prises par Jacques Chirac tendent elles aussi à favoriser la création d’une composante européenne de défense qui s’articulerait avec l’Otan et parachèverait la construction de l’Europe politique. Toutefois, le processus amorcé au Conseil atlantique de Berlin en juin 1996 ne s’est pas développé conformément aux prévisions de la France, de sorte que le rêve d’une Identité européenne de défense reste inachevé.
Les observations qui précèdent ne rendent qu’imparfaitement compte de la substance d’un ouvrage qui décrit les multiples facettes de la politique de sécurité et de défense de la France au cours de la dernière décennie, et reflète bien la perception qu’on en a en Allemagne. En dépit des partis pris des auteurs, les analyses sont conduites avec rigueur et méthode, et des annexes documentaires permettent au lecteur de prendre connaissance des principaux textes officiels qui sont parus pendant la période de référence. Enfin, le ton général de l’ouvrage fait écho à l’intérêt que l’on porte dans les milieux universitaires d’outre-Rhin à la poursuite de la coopération militaire franco-allemande. Il serait souhaitable que l’on s’adonnât au même genre d’exercice en France, ne serait-ce que pour clarifier les positions des deux pays dont l’entente est vitale pour l’avenir de notre continent. ♦