Afrique - Évolutions de la politique tchadienne
Après l’Angola, le Zimbabwe et la Namibie, le Tchad a confirmé officiellement fin septembre 1998 avoir envoyé en République démocratique du Congo un millier de soldats de ses forces armées pour soutenir les forces de Laurent-Désiré Kabila contre la rébellion armée appuyée, elle, par l’Ouganda et le Rwanda. Déjà, début septembre, le président tchadien Idriss Déby avait nettement manifesté son soutien au régime congolais en déclarant : « Il est clairement établi qu’il y a agression extérieure contre la RDC », alors qu’il recevait à N’Djamena le président congolais. Ce dernier devait d’ailleurs se rendre, le lendemain de cette visite au Tchad, au Gabon où le président Omar Bongo devait lui aussi condamner « l’occupation par des troupes étrangères de la République démocratique du Congo ». Face à l’Ouganda et au Rwanda, et après avoir bénéficié du soutien actif de l’Angola, du Zimbabwe et de la Namibie, le président Kabila a donc entrepris de mobiliser en sa faveur les pays francophones d’Afrique centrale. Ces derniers, représentés par leurs chefs d’État (RDC, Gabon, Guinée-Équatoriale, Tchad, Centrafrique et Congo Brazzaville), ainsi que des représentants personnels des présidents camerounais et angolais se sont réunis à Libreville le 25 septembre pour apporter leur appui au président Kabila et préconiser « la mise en place d’une force régionale de maintien de la paix ».
C’est dans cette optique que le Tchad a voulu situer son intervention militaire en RDC et a tenu à l’officialiser, à la suite de révélations publiées par la presse nationale et de rumeurs relatives à l’envoi de « mercenaires tchadiens » à Kinshasa, se prévalant d’une concertation et d’un accord à propos de la crise congolaise entre les pays francophones de la sous-région.
Cette intervention militaire tchadienne apparaît très révélatrice des efforts déployés par N’Djamena pour affirmer sa présence dans cette zone et illustre à bien des égards l’évolution de sa politique extérieure. Dès 1996, lors du sommet franco-africain de Ouagadougou, le président Idriss Déby avait fait partie du groupe des chefs d’État pour une médiation dans la crise centrafricaine, et il avait concrétisé cette initiative diplomatique par une participation active de ses forces armées à la force interafricaine d’interposition (la Misab), puis à la force de maintien de la paix des Nations unies depuis avril 1998 (Minurca). Il montrait ainsi l’importance qu’il attachait, pour le Tchad, à la stabilisation du voisin centrafricain, et en même temps le soutien politique qu’il accordait au président Ange-Félix Patassé.
Ce dernier, d’ailleurs, s’est toujours montré proche du président congolais Laurent-Désiré Kabila, qu’il avait notamment reçu à Bangui en mai 1998, et avec lequel il avait alors signé un accord de défense prévoyant que les deux pays s’engageaient à « s’assister mutuellement dans le cadre d’une concertation permanente de défense », et se donnaient mutuellement « toutes les facilités et les aides à leur défense ». Parallèlement à cette convergence d’intérêts tchado-centrafricains, l’intervention militaire tchadienne en RDC correspond aussi au rapprochement très net intervenu au cours des derniers mois entre le Tchad et la Libye. Depuis la visite spectaculaire du colonel Kadhafi à N’Djamena en mai 1998, une nouvelle coopération entre les deux pays s’est rapidement développée alors qu’on constatait un accroissement important de la présence de conseillers libyens au Tchad. En outre, ces deux États, avec le Burkina-Faso, le Mali, le Niger et le Soudan resserraient leur coopération politico-militaire avec la création de la Communauté des États sahélo-sahéliens (Comessa) en février 1998.
De fait, la Libye a aussi toujours soutenu et appuyé le régime de Laurent-Désiré Kabila ; de même que le Soudan, dont les relations avec N’Djamena et Tripoli sont bonnes, et qui (selon des sources officieuses) a également accordé à la RDC un appui militaire direct lié à son opposition avec l’Ouganda, principal soutien, avec la bénédiction des Américains, des mouvements d’opposition armée du Sud-Soudan, mais aussi des opposants armés au président congolais.
Du côté libyen en tout cas, cette situation paraît favorable à la relance d’une politique de rapprochement avec les pays du continent africain, qui facilite notablement les efforts déployés par Tripoli pour mettre un terme à l’embargo imposé par l’Onu à la suite de l’affaire de Lockerbie. De fait, depuis le sommet de l’OUA de Ouagadougou de juin 1998, un nombre croissant de pays africains ont décidé de ne plus appliquer cet embargo.
Ces évolutions de la politique tchadienne prennent, pour la France, une importance particulière dans la mesure où N’Djamena est l’un des principaux partenaires militaires de Paris dans le continent, où le Tchad reste un bénéficiaire important de l’aide publique bilatérale française et où il apparaît que les relations entre les deux pays traversent une période difficile, avec des divergences sur plusieurs aspects importants de leur coopération. Par exemple, le dossier complexe du grand projet d’exploitation des ressources pétrolières de Doba qui fait l’objet de négociations tendues avec la Banque mondiale, et qui, pour ce qui concerne ses effets sur l’environnement ou ses retombées économiques et sociales sur les populations tchadiennes, suscite d’importantes controverses. La condamnation à trois ans de prison du député sudiste Yorongar, opposant au régime, qui avait accusé certains hauts dirigeants d’avoir tiré un profit personnel de ce projet pétrolier, a été considérée à Paris, en raison de la lourdeur de la peine et du déroulement du procès, comme « un facteur de tension ». Autres exemples de différends : les demandes tchadiennes de financement pour le déminage des régions Nord du pays, les effets de la réorientation de la coopération militaire française en Afrique, même si le Tchad en reste un des plus gros bénéficiaires.
Si le Tchad cherche, en raison de ses problèmes politiques intérieurs, ou des effets attendus à partir de l’an 2000 de l’exploitation de ses richesses pétrolières, à faire évoluer sa politique extérieure dans la sous-région ou vers le monde arabe, du côté français on surveille avec attention ces progressions dans ce pays qui, affirme-t-on à Paris, restera au centre du nouveau dispositif militaire français en Afrique. De fait, à la suite de la fermeture des bases de Bouar et Bangui en Centrafrique, le dispositif Épervier (neuf cent quinze hommes, cinq Mirage F1, trois hélicoptères Puma, deux appareils de transport) a acquis une importance nouvelle qui semble donner à penser aux responsables tchadiens qu’il peut servir de levier dans les négociations sur les différends entre les deux pays (1).