Militaire - Allemagne
Au cours du premier trimestre 1939, la chronique cède le pas à l’histoire.
L’annexion par le Reich, sous des formes et des prétextes divers, mais selon une méthode identique, de la Tchécoslovaquie et de Memel [NDLR 2022 : aujourd’hui Klaipėda en Lituanie] rejette dans l’ombre les faits militaires d’ordre secondaire.
Si l’on fait un bilan sommaire de l’opération, comment se décomptent les bénéfices que réalise la force allemande ?
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Le butin économique a été complaisamment énuméré par la presse d’Outre-Rhin :
Mines de fer (600 000 tonnes par an), de charbon, de houille, de plomb argentifère, de lignite. Importantes ressources agricoles et forestières, etc…
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Le butin militaire, s’il est moins mis en évidence par les journaux du Reich, n’est pas moins appréciable.
D’après les estimations allemandes, la Bohême et la Moravie, telles qu’elles se trouvaient constituées depuis octobre 1938, pouvaient mettre sur pied une armée de 12 à 15 divisions d’infanterie, deux divisions légères, une ou deux brigades blindées et une force aérienne comprenant 800 appareils de première ligne.
Non seulement la Wehrmacht a mis la main sur l’excellent armement dont disposaient ces forces, mais elle aura désormais à son service la puissante industrie militaire tchèque ; on sait que les usines Skoda, en particulier, ne pourvoyaient pas seulement aux besoins des forces tchécoslovaques, mais que leurs exportations étaient considérables ; les fabriques de chaussures Bata ont fourni pendant la guerre 1914-1918 la plus grosse partie des équipements de l’armée austro-hongroise.
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Les effectifs de l’armée allemande ne seront guère augmentés par les nouvelles annexions. Memel et les forces auxiliaires slovaques ne fournissent qu’un faible appoint. Les Tchèques, partageant le sort des Israélites du Reich, ne porteront pas les armes et ne viendront pas renforcer la Wehrmacht. Mais, dans la préparation et l’exécution de la guerre moderne, l’ouvrier et le cultivateur ne sont pas moins indispensables que le soldat. Les Tchèques fourniront, de gré ou de force, dans leur pays ou en territoire allemand, une excellente main-d’œuvre.
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Enfin, sur le plan stratégique, le Reich renforce puissamment ses positions dans la lutte qu’il poursuit pour la réalisation des ambitions hitlériennes : domination de l’Europe d’abord, domination mondiale ensuite, par la race élue.
Il efface en effet une longue frontière, où il voisinait avec un peuple qui, voulant rester libre, était son ennemi naturel. Ayant absorbé cet adversaire éventuel, après l’avoir progressivement encerclé, il commence le siège de la Pologne aussi bien par le Sud, en mettant la main sur la Slovaquie, que par le Nord en s’emparant de Memel, poumon de la Lituanie ; sans perdre de temps, il accentue sa pression sur Dantzig [aujourd’hui Gdansk] et sur le couloir ; il lance ses avant-gardes économiques sur la Roumanie, dont les blés et les pétroles lui sont indispensables pour risquer une guerre longue, et sur les pays baltes, où ne manquent pas les souvenirs germaniques.
Le Diktat allemand — qui ne connaît pas les longs scrupules des négociateurs de Versailles — admet cependant une concession en faveur de l’Italie et de la Hongrie, dont la complaisance doit permettre la réalisation des expansions futures. En laissant s’établir la frontière commune hungaro-polonaise, le Reich abandonne, malgré ses appels et ses cris, sa protégée, la Ruthénie carpatique, germe vivant d’où devait naître la Grande Ukraine.
Mais cette concession est plus apparente que réelle. L’Autrichien Hitler espère bien arriver à reconstituer sous une forme moderne, c’est-à-dire au bénéfice du Reich, l’Empire austro-hongrois et récupérer ainsi sans peine la Ruthénie carpatique qui, seule, constitue d’ailleurs une base trop étroite pour l’encerclement de la Pologne et la poussée vers le Sud-Est. L’absorption de la Ruthénie carpatique par la Hongrie donnera de plus au Reich maintes occasions de pression et d’intervention chez sa voisine du Sud-Est, et ne l’obligera nullement à abandonner la propagande pour la réalisation de la Grande Ukraine.
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Tel se présente l’actif de l’opération. Il est important, mais le passif n’est pas négligeable. Dans le monde entier, les yeux des hommes les plus ignorants et les plus naïfs se sont ouverts. M. Hitler, qui fut, paraît-il, un lecteur assidu du Mémorial de Sainte-Hélène, pourra peut-être dire un jour de l’affaire de Bohême ce que Napoléon a dit de l’expédition en Espagne : « Cette combinaison m’a perdu. Toutes les circonstances de mes désastres viennent se rattacher à ce nœud fatal. Elle a détruit ma moralité en Europe. » ♦