L’expression dissuasion du fort au faible a fait florès. Chacun y voit le pendant de la dissuasion du faible au fort qui constitue la base de la doctrine française de dissuasion. Or, l’inversion des mots entraîne un profond changement de logique qu’aucun des auteurs classiques de la dissuasion n’a vraiment décortiqué. À l’heure de la prolifération nucléaire, ne convient-il pas de conceptualiser cette nouvelle configuration stratégique ? L’auteur amorce un débat sur cette question.
Dissuasion du fort au faible
Deterrence of the weak by the strong
The principle of deterrence of the weak by the strong is a long-standing principle of the balance of forces. Within that principle, we clearly see another – that of deterrence of the strong by the weak, which forms the foundation stone of French deterrence doctrine. Yet this simple reversal of words carries with it a fundamental change in logic which has never truly been analysed by traditional writers on deterrence matters. In an era of nuclear proliferation, is it not timely to form a concept around this strategic situation? The author launches the debate.
Dans une tribune du journal Le Monde du 29 octobre 2011, le général Norlain dénonçait l’« inutile et coûteuse » arme nucléaire. Il ne s’agit pas ici de répondre à l’ensemble de son propos mais de revenir sur l’une de ses affirmations qui mérite à elle seule toute une réflexion. À l’en croire, « pour répondre à la nouvelle situation stratégique, la doctrine est ainsi passée de la dissuasion “du faible au fort” à celle “du fort au faible ou au fou”. Or, comme le dit le politologue Pierre Hassner (1), la notion de dissuasion “du fort au faible” conduit à une logique d’emploi et même d’emploi en premier ».
Penser le « fort au faible »
Ainsi, la dissuasion serait passée du faible au fort à celle du fort au faible. Mais n’est-ce pas un peu forcer le texte des discours successifs des présidents de la République, de celui de l’Île Longue en 2006 (prononcé par M. Chirac) à celui de Cherbourg en 2008 (prononcé par M. Sarkozy) (2). À les relire, la dissuasion demeure globale, tous azimuts, ce qui est de doctrine constante. On y rappelle la notion « d’intérêts vitaux » et que la dissuasion est « strictement défensive ». Quant à la notion de dissuasion du fort au faible, elle n’est pas même citée dans les textes. Il n’en reste pas moins que le problème soulevé mérite d’être discuté. En effet, la doctrine française de dissuasion a été bâtie autour du principe de la dissuasion du faible au fort, grâce au pouvoir égalisateur de l’atome.
Or, malgré le dispositif international de lutte contre la prolifération, il faut poser le postulat que la menace de prolifération est belle et bien réelle. Et tout en faisant très attention à ne pas verser dans le travers du « croquemitaine iranien », on ne peut que constater qu’il est possible que l’Iran parvienne à devenir une puissance nucléaire ou quasi-nucléaire : les modalités en sont nombreuses (pays du seuil, à l’instar du Japon ; « pays qui ne sera pas le premier à introduire l’arme nucléaire au Moyen-Orient », à l’instar d’Israël ; ou tout autre formule persane à découvrir…). Bref, stratégiquement, cette éventualité est plausible et, au-delà de ce cas particulier, il faut la penser et poser préalablement les bons diagnostics stratégiques.
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