Armée de terre - L'Armée de terre face au troisième millénaire
L’Aérospatiale, en coopération avec la société allemande Messerschmitt-Bölkow-Blohm (MBB), étudie actuellement la réalisation d’un missile guidé par fibres optiques, « Polyphème », qui permettra de détruire chars et hélicoptères à des distances de plusieurs dizaines de kilomètres, hors de la vue du tireur.
Ce décuplement des portées actuelles illustre le caractère exceptionnel des progrès technologiques d’aujourd’hui en matière d’armement. À l’horizon 2010-2020, une bataille sur le théâtre européen, ou ailleurs, n’aura plus grand-chose de commun avec ce que nous avons connu.
Implosion des délais, explosion de l’espace
La micro-informatique permet déjà de placer à bord de la munition l’intelligence jusqu’alors contenue dans le poste de tir. Les propulsions par ergols liquides procureront aux canons une cadence de tir et une autonomie de feu plus grandes, ainsi que plus de souplesse dans le réglage des portées. Les lasers permettront la destruction des optiques et de l’œil humain. Les robots semi-autonomes d’abord, puis autonomes au-delà des années 2000, percevront leur environnement et pourront réagir directement aux sollicitations extérieures. Ainsi, les armes seront chaque jour plus intelligentes, identifieront l’adversaire et le détruiront de plus en plus loin, de plus en plus vite, de plus en plus sélectivement, de jour comme de nuit.
La mobilité se développera. L’aéromobilité, bien sûr, mais aussi l’agilité des matériels terrestres, grâce aux moteurs hyperbares, aux turbines à gaz, aux suspensions actives capables d’anticiper les sollicitations dues au relief, tandis que des progrès considérables sont attendus sur le plan de la protection, avec l’utilisation des blindages composites, réactifs et des systèmes de contre-mesures. Par ailleurs, les possibilités du transport aérien accroîtront le rythme des opérations et favoriseront la surprise, même dans un contexte où on verra et on saura beaucoup. En effet les combats d’hier nous apparaîtront étrangement aveugles et figés. Satellites, drones, radars, transmissions électroniques de données se substitueront à l’œil, à la jumelle, aux réseaux radios hiérarchiques, à la photo aérienne, et donneront une connaissance instantanée des dispositifs dans une grande profondeur, quelles que soient les conditions de visibilité. Les informations recueillies seront analysées, synthétisées et transmises en temps réel aux unités concernées. La bataille de demain se caractérisera donc par une implosion des délais et une explosion des espaces de manœuvre, faisant du théâtre européen un espace opérationnel unique.
Faire face aux défis
Aussi peut-on prévoir que le corps d’armée, dans une vingtaine d’années, devra impérativement agir dans trois « bulles concentriques », dont les deux premières offrent de nouveaux champs d’action qu’il est essentiel d’investir dès à présent si l’on ne veut pas « mourir » avant même d’avoir « compris ».
Une première bulle, la plus volumineuse, sera celle de l’observation, du renseignement, de l’information et des communications. Il s’y conduira une intense guerre de mesures et contre-mesures, cherchant à discerner ce qu’est l’adversaire et à l’empêcher de savoir ce que nous sommes.
Une deuxième bulle sera celle du combat dans la profondeur. On y verra agir non seulement les armes d’appui d’aujourd’hui, mais celles de demain, capables d’identifier, de choisir et de détruire leurs cibles de façon intelligente et sélective à grande distance.
Une troisième bulle, enfin, sera celle des armes de mêlée. S’y entrechoqueront, crachant boulets et mitrailles, des systèmes à la fois antagonistes et complémentaires, canons, missiles hypervéloces, chars, hélicoptères, qui auront pour caractéristiques communes une puissance de feu, une mobilité et une protection accrues par l’utilisation de techniques nouvelles.
À l’horizon 2010, rien ne sera donc plus comme avant et le défi de l’Armée de terre face au « troisième millénaire » consiste à adapter d’une façon continue son « héritage » à ce nouveau contexte technologique auquel il faut associer une évolution toujours possible des menaces et des données géostratégiques, politiques ou économiques.
À l’image de la France, l’Armée de terre a progressé jusqu’à ce jour par ruptures brutales, séparées par des phases plus ou moins longues de stabilité, d’où les réorganisations successives. À cette démarche, elle tente aujourd’hui de substituer une nouvelle approche à travers un schéma directeur fondé sur la détermination d’objectifs lointains progressivement affinés, de modèles d’organisation adaptables aux changements d’environnement, et de plans d’action pour le court terme.
Le schéma directeur
Le schéma directeur qui tend vers un projet d’Armée de terre pour l’an 2000 comporte des objectifs généraux dans 16 grands domaines englobant l’ensemble des activités (personnels, équipements, formation, infrastructure, montée en puissance, sécurité…), tandis que des modèles d’organisation définissent des structures à 5, 15, 25 ans par une maquette de programmation, une maquette de planification et des modèles prospectifs.
Des plans d’action indiquent les travaux à réaliser dans chaque domaine d’activité pour atteindre les objectifs fixés et pour parvenir à l’organisation envisagée. Ils sont précis à court terme, puis se définissent ensuite par des grandes orientations au fur et à mesure que l’horizon s’éloigne.
Enfin, tant il est vrai que ce projet pour une Armée de terre de l’an 2000 n’aura de valeur qu’à travers l’adhésion qu’il provoquera, le schéma directeur vise à mobiliser toutes les énergies sur quatre principes : priorité à la finalité opérationnelle, productivité et qualité totale, meilleur emploi des ressources humaines et préparation résolue de l’avenir.
Dans le contexte actuel de rupture technologique et peut-être aussi stratégique, le schéma directeur pour un projet d’Armée de terre de l’an 2000 devrait permettre de concilier l’ombre portée du passé avec la liberté qu’appellent les objectifs du futur. ♦