Revue des revues
• La revue américaine Foreign Affairs, dans son numéro d’hiver 1987-1988, contient plusieurs articles concernant le fonctionnement des institutions américaines en ce qui concerne la politique étrangère. M. Robert Michael Gates, directeur adjoint de la Central Intelligence Agency (CIA), étudie le rôle de son agence. M. Théodore Chaikin Storensen, ancien conseiller du président Kennedy, examine les rapports entre le président et le secrétaire d’État. Deux hommes politiques, un sénateur républicain et un universitaire démocrate, donnent des points de vue inspirés par leur parti. Un cinquième article, par le professeur Louis Henkin, de l’université de Columbia, a pour sujet les affaires étrangères et la Constitution.
Ce dernier article nous a paru être le plus intéressant. Il se demande s’il n’y a pas une crise du système américain dont l’Irangate ne serait qu’un symptôme. La Constitution américaine repose sur le principe de la séparation des pouvoirs avec un système de contrôles et d’équilibres entre le Congrès et le président, mais les textes sont incomplets et peu clairs dans le domaine des relations internationales. Il existe ainsi une « zone grise » (twilight zone) qui soulève d’importants problèmes.
Le professeur Henkin rappelle que, pour les rédacteurs de la Constitution, le Congrès était le premier pouvoir et devait dominer en politique intérieure et extérieure : il fait les lois et vote le budget, le président exécute celles-ci et utilise les crédits suivant les décisions du premier. Les relations internationales comportent d’autres problèmes.
À l’origine, celles avec l’étranger étaient entièrement du domaine de l’exécutif mais un traité doit être ratifié par le Sénat à la majorité des deux tiers. Les fonctions de commandant en chef des armées ne permettent normalement au président que de repousser des attaques soudaines, non de mener des actions militaires en temps de paix.
L’histoire constitutionnelle a donné quelques réponses. Le Congrès a laissé le président mener la vie courante de la politique étrangère. Très tôt, il a pu agir seul pour passer des accords informels, envoyer de sa propre autorité des forces militaires en mission. En fait la querelle est ancienne entre Hamilton, partisan d’un « pouvoir exécutif », Madison pour qui le pouvoir réside dans le Congrès, John Marshall défendant le président comme « unique organisme » dans les relations extérieures. Le président a été souvent représenté comme déterminant la politique étrangère, et la faisant appliquer comme « exécutif » et commandant en chef.
En pratique, le Congrès a laissé faire mais a toujours soutenu que le président ne pouvait agir que dans la mesure où il ne s’opposait pas à un vote. Par exemple, la résolution sur les pouvoirs de guerre de 1973 a déclaré que, constitutionnellement, le président ne pouvait engager des forces américaines dans des hostilités ou dans des situations dangereuses que dans le cas d’une attaque des États-Unis ou de ses forces armées. Tous les présidents ont contesté la validité de cette War Powers Resolution, et en ont tourné les prescriptions. Le terme d’hostilités est d’ailleurs sans définition précise. La stratégie nucléaire pose le problème plus grave du déclenchement du feu nucléaire où il s’agirait de défendre un allié ou même de représailles, l’approbation du Congrès n’étant pas certaine. Si le 25e amendement ne peut s’appliquer, il y a également le problème de la dévolution des pouvoirs dans le cas où le président ne pourrait pas « appuyer sur le bouton ». Rien n’existe dans ce domaine, probablement parce que l’on a peur d’effrayer les gens et d’affaiblir la dissuasion. Si les armes nucléaires écartent le Congrès de décisions aussi importantes, la Constitution est en défaut.
Le professeur Henkin évoque également d’autres affaires, comme celle du vote du budget et celle des activités clandestines, ainsi que celle des traités. Le Sénat a souvent une vue de la politique internationale qui est très différente de celle de l’exécutif, ce qui n’est pas sans éveiller la méfiance des gouvernements étrangers. Il arrive que ce dernier interprète un traité d’une manière qui n’est pas celle qu’il a présentée au Sénat pour emporter son adhésion. Les sénateurs devront donc être très prudents.
Le professeur Henkin conclut que cette zone grise laisse la place à beaucoup d’incertitudes et de conflits. Dans le domaine des affaires internationales, le président représente les États-Unis et le peuple américain dans le monde : il est le centre de ce qui est expérience, secret, rapidité, efficacité. Le Congrès représente le peuple américain chez lui : il fournit des jugements plus délibérés, plus réfléchis (ce qui paraît une opinion bien optimiste). L’engagement dans une guerre totale exige le consentement des administrés. La Constitution américaine est en définitive le système le plus étrange du monde, surtout à l’âge nucléaire.
• La Constitution est à l’ordre du jour aux États-Unis. La revue Armed Forces and Society consacre son numéro d’automne 1987 aux rapports entre Constitution et défense nationale. Deux articles retiennent particulièrement l’attention d’un lecteur français : l’un traite des moyens de mobiliser un soutien politique pour la sécurité nationale, par Bert A. Rockman, de l’université de Pittsburgh, qui fait en particulier allusion aux problèmes d’opinion publique ; l’autre article, par Daniel J. Kaufman, de l’académie militaire de West Point, étudie l’organisation des forces armées. Ce dernier conclut de façon assez pessimiste que le système actuel ne permet pas la création d’un système de sécurité qui ait une valeur vraiment nationale, une centralisation incomplète de l’autorité laissant trop de liberté à chacune des armées. Cela est à rapprocher des critiques formulées par F.J. West Jr dans le numéro de l’US Naval Institute Proceedings à propos de la « stratégie maritime » de l’amiral Watkins (voir Défense Nationale, juin 1986, chronique « Revue des revues » par Yvan Scordino) et de son successeur, l’amiral Carlisle A.H. Trost dans le même numéro de l’USNIP. F.J. West reproche à cette stratégie d’avoir été mise sur pied par la marine seule, sans concertation avec les autres armées et l’Otan. La conclusion de Daniel Kaufman est cependant que la récente réforme faite en 1986 sur le président du comité des chefs d’état-major (Joint Chiefs of Staff) est de nature à remédier à la situation, même si d’autres réformes restent probablement nécessaires.
Georges Outrey
• Vojno Delo, la revue yougoslave traitant les questions relatives à la science militaire publie dans son numéro 5/1987 deux articles qui ont retenu notre attention. Le premier, du capitaine de frégate D. Luburic s’intitule : « À propos d’expériences concernant l’emploi opérationnel de la marine dans des conflits et guerres locaux ». Le second, dont l’auteur est le lieutenant-colonel S. Manojlovic, a pour titre : « Le travail de l’organe politique au cours d’exercices d’état-major (Komandno-stabske ratne vezbe) et sa participation au processus décisionnel ».
Le commandant Luburic, dans son article, définit d’abord le cadre méthodologique de son investigation. Il n’examine que les guerres et conflits locaux après 1945 où : la marine a été engagée d’une manière opérationnelle (autonome) ; les forces employées ont été un groupe naval avec au moins un porte-avions ou un porte-hélicoptères avec des bâtiments d’escorte et au moins une brigade d’assaut (air ou marine) ; la zone opérationnelle était considérable et la durée de l’opération de plusieurs jours. Il examine quatre crises : la guerre de Corée (1950-1953), l’opération contre l’Égypte en 1956, le conflit indo-pakistanais de 1971 et la guerre des Malouines (1982).
Les enseignements que l’auteur tire de ces conflits sont :
1. La conduite d’un conflit armé implique l’emploi approprié d’éléments des trois armées. L’absence de la marine (Corée du Nord et Égypte) ou son inactivité (Argentine) ont fortement influencé le succès de l’opération sur le théâtre terrestre ; pendant les opérations sur le Yalou, la marine américaine est restée inactive elle aussi.
2. La marine conduit les opérations dans les quatre domaines : sur mer, sous l’eau, sur terre, dans les airs. Elle est seule à pouvoir le faire.
3. Les opérations de guerre des mines en font partie ; elles prennent de plus en plus d’importance dans les conflits de faible intensité.
4. Le sacrifice de l’artillerie des bâtiments de surface a été une erreur, d’où l’introduction de nouvelles munitions et d’une meilleure coordination avec l’aviation.
5. La manœuvre opérationnelle de la marine bénéficie de l’utilisation des hélicoptères et de nouveaux types de bâtiments d’assaut.
6. Malgré leur développement rapide, les systèmes de commandement et d’information doivent encore être renforcés pour « survivre » en ambiance de guerre électronique.
L’article du lieutenant-colonel Manojlovic analyse les activités des organes politiques des états-majors des différents niveaux sous un triple aspect : l’organe politique en tant que facteur de préparation et de maintien du moral des troupes (politique et psychologique) ; en tant qu’unité de renseignement : les fonctions de contre-renseignement et de contre-propagande.
D’après l’auteur, la conscience politique et la stabilité psychologique ne s’acquièrent que si les combattants connaissent et adhèrent aux buts de la lutte armée ; ainsi perçoivent-ils la raison d’être des armements et des équipements militaires. Les organes politiques doivent clairement expliquer les buts politiques de la guerre afin de donner aux soldats force morale, motivation, courage et initiative. Les moyens d’y parvenir sont les conférences sur la situation politico-militaire, sur les activités de propagande et sur la guerre psychologique. Les futures opérations, leurs difficultés ainsi que les efforts à poursuivre sur le plan humain doivent être aussi explicités. Au cours des combats, les organes politiques restent en contact avec les soldats et les informent de la situation.
Simultanément, l’organe politique, en tant que cellule de renseignement, évalue le moral des troupes de l’adversaire. Pour ce faire, les facteurs suivants sont pris en considération : les fondements idéologiques et politiques des forces morales de l’adversaire ; les motifs de l’agression ; la composition et l’expérience au combat des unités ennemies ; le contenu des activités de propagande ; le comportement dans les combats précédents ; les activités psychologiques et de propagande destinées à nos unités et à notre population. De même, les facteurs qui agissent sur le moral des troupes de l’adversaire doivent être particulièrement examinés, par exemple : l’insécurité sur les arrières, les pertes, les problèmes logistiques, etc.
Les activités de contre-propagande et de contre-renseignement au sein de notre unité se basent sur l’évaluation aussi bien de facteurs généraux que de ceux propres à la situation dans laquelle se trouve l’unité. Les éléments pris en compte sont : la qualité de l’information donnée aux troupes sur la situation politico-militaire ; le degré de cohésion des unités ; la résistance aux activités de propagande de l’adversaire ; le fonctionnement du système de commandement ; l’expérience au combat ; les phénomènes qui ont un effet néfaste sur le moral des troupes. L’évaluation de la situation sur le territoire des futures opérations de l’unité est également incluse dans les activités de contre-propagande, car elle agira sur le moral par la force des choses. Aussi l’organe politique prend-il en considération le fonctionnement des administrations civiles, les forces de l’ennemi à l’intérieur, les activités de sa propagande, ses forces spéciales infiltrées, etc.
En résumé on peut dire : rien de nouveau depuis Triandafilov (1894-1931) !
Jean de Raguse
• Bien que le n° 12/1987 d’Europäische Wehrkunde contienne nombre d’autres articles intéressants, il a paru préférable de consacrer cette chronique à la contribution du Dr. Alfred Dregger (1) au « Forum stratégique allemand pro pace » sous le titre : « Ébauche de politique de sécurité pour une Europe maîtresse d’elle-même ».
Il rappelle d’abord la situation actuelle : stationnement au cœur de l’Allemagne d’armées russes, pour la première fois en temps de paix ; leur pression sur une Europe occidentale dépourvue de profondeur stratégique est tout juste équilibrée par la présence américaine et une étroite imbrication dissuasive classique et nucléaire ; perte de la supériorité nucléaire des États-Unis dont le territoire est aussi sous menace ; prépondérance économique américaine absolue sur la Communauté économique européenne (CEE) et le Japon remplacée par une concurrence acharnée ; fidélité de l’URSS à l’idéologie communiste (Gorbatchev entend rendre plus performant le léninisme et non l’abolir : la répression des minorités ethniques et des convictions religieuses peut être assouplie ou durcie, elle ne peut être supprimée sans bouleverser tout le système) et à l’héritage des tsars (expansion omnidirectionnelle : le maintien sous le joug de l’Europe orientale et centrale, l’occupation depuis huit ans de l’Afghanistan en témoignent…).
Les conséquences de l’option « double zéro » sont très loin d’être les mêmes pour tous (2) : l’URSS échappe à la menace de voir le déploiement de ses forces de 2e échelon frappé chez elle ou à ses abords par des fusées sol-sol américaines basées en Europe ; les États-Unis ne risquent plus une frappe stratégique sur leur continent, déclenchée en riposte à l’engagement de leur Forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI) contre une attaque soviétique ; les voisins occidentaux de la République fédérale d’Allemagne (RFA) sont, pour l’essentiel de leur territoire, à l’abri des missiles sol-sol autres que « stratégiques » ; l’Allemagne, de part et d’autre du rideau de fer, reste par contre le réceptacle exclusif des fusées tactiques des deux camps. Situation particulièrement grave pour la RFA : 600 Scud, sans contrepartie à l’Ouest, 145 SS 21 et 635 Frog se dressent face aux 88 Lance de l’Otan. Les 1 635 rampes soviétiques peuvent se passer des SS-20…
L’URSS tenait tellement à supprimer le danger que représentaient les fusées de portée intermédiaire que, pour l’obtenir, Gorbatchev a renoncé à ses exigences initiales, prétendues non négociables, concernant l’Initiative de défense stratégique (IDS). Ainsi disparaît un barreau de l’échelle reliant les armes nucléaires de champ de bataille des États-Unis à leurs systèmes centraux. Pour en pallier la conséquence sur la crédibilité de la dissuasion en Europe, certains voudraient accroître le nombre de fusées courte portée. Or, « la RFA peut être détruite, mais pas défendue, avec des armes nucléaires. L’Alliance ne devrait en conserver qu’en fonction de leur valeur dissuasive : employées, elles auraient manqué leur but, surtout si cet emploi avait principalement lieu sur le sol de l’agressé… J’ai dit à Honecker à Bonn le 8 septembre que l’intérêt des Européens, et surtout des Allemands, aurait été que les démontages commencent par les armes portant à moins de 500 kilomètres pour s’étendre progressivement au-delà. Il en a convenu ». Tant que subsiste le déséquilibre en chars et en armement chimique, il est impensable de renoncer aux armes à courte portée, mais « les Occidentaux doivent maintenant exiger la réduction de leur nombre, y compris des obus nucléaires, au minimum indispensable pour interdire les concentrations massives en vue d’une attaque. Veillons à ce que l’intérêt des Grands à désarmer ne s’éteigne pas avant d’atteindre les domaines pour nous les plus inquiétants » !
Sur les instances de la RFA – et le Parti chrétien démocrate (CDU) appuie tout spécialement cette demande – les ministres des Affaires étrangères de l’Otan ont chargé le Conseil d’élaborer un concept d’ensemble de désarmement et de sécurité, de déterminer les instruments restant disponibles (ou susceptibles de le devenir) pour la riposte graduée, une fois l’accord en application. « Le nucléaire peut, dans une certaine mesure, compenser une infériorité classique, mais un renforcement des moyens classiques ne saurait boucher un trou nucléaire.
Privée d’armes atomiques, la RFA est donc hors d’état de compenser ce qui va être perdu avec les FNI ».
S’ils peuvent tirer la leçon de décisions prises sans eux par les superpuissances, les Européens libres peuvent retrouver l’occasion de s’affirmer en allant, au-delà de l’union économique et monétaire, vers une union militaire et politique.
1. Tant que subsistera la division en deux camps, l’équilibre de l’Europe exige une présence américaine comme contrepoids à la puissance mondiale eurasiatique de l’URSS.
2. Rassembler les forces politiques, économiques et militaires de l’Europe occidentale est urgent : son absence à Reykjavik n’est pas à reprocher aux Américains mais à prendre comme un défi de nous-mêmes. « Tant que l’Europe de l’Ouest ne constituera pas une entité politique et militaire, tant qu’elle aura deux stratégies, la française et l’atlantique, l’essentiel de son sort se décidera en dehors d’elle… ».
3. En tant que puissances nucléaires, « France et Angleterre ont une responsabilité spéciale à l’égard des autres Européens ; leur coopération nucléaire stratégique profitera à tous, pourvu que leurs forces de frappe servent aussi, en plus de leurs intérêts nationaux, à la sécurité de l’Europe. Faute de quoi, au départ des missiles américains, une brèche s’élargirait entre les puissances nucléaires européennes et les autres, avec la RFA surtout, la plus exposée… ».
4. Les Européens ont tout pour effectuer le saut qualitatif vers l’union politique ; ni la force économique ou technique, ni les hommes ne leur manquent : 235 millions d’habitants (plus qu’aux États-Unis, à peine moins qu’en URSS) vivent dans les sept États appartenant à la fois à la CEE et à l’Union de l’Europe occidentale (UEO). Le noyau européen des Sept qui se sont promis en 1954 assistance militaire par tous moyens doit devenir une réalité militaire, sans exclure pour autant les autres membres de la CEE s’ils veulent participer.
5. Un rôle clé échoit à la France : ce n’est qu’avec elle que RFA, Benelux, Grande-Bretagne. Italie et péninsule ibérique peuvent constituer un espace de sécurité d’un seul tenant. « La valeur spéciale de la force nucléaire française réside pour nous en ce que son centre de décision est situé tout près, dans la capitale d’un État dont, ne serait-ce que géographiquement, le sort est lié au nôtre ».
6. Si l’alliance venait à être battue en Allemagne, l’indépendance de la France deviendrait impossible à défendre. « Elle le sait, mais sans en tirer toutes les conséquences ». Elle devrait affirmer sans ambages que l’intégrité du sol de la RFA fait partie des intérêts vitaux qu’elle défendra avec tous ses moyens militaires. Elle devrait informer et consulter la RFA sur ses plans d’emploi nucléaires, comme le font actuellement les Américains pour les leurs. La planification de ses armes préstratégiques, notamment, « devrait être arrêtée en accord avec la RFA et tenir compte des intérêts de survie de l’Allemagne : des armes qui ne peuvent atteindre qu’un sol allemand sont pour nous plus une menace qu’une protection ». La déclaration française du 28 février 1986 est donc un premier pas important. « Une attaque classique sur notre pays ne doit pas être contrée d’abord ni essentiellement avec des armes nucléaires. Les discussions sur la brigade franco-allemande ont révélé des divergences importantes entre la conception française et celle des alliés européens. Appliqué aux armes nucléaires non stratégiques de la France, le terme préstratégique ne serait justifié que si elles pouvaient être l’instrument d’un dernier avertissement avant l’emploi des armes stratégiques. Ni le Pluton, ni son successeur le Hadès n’ont pour cela la portée et la précision voulues. La RFA devrait soutenir le désir français de posséder des moyens de recherche convenant à la spécificité de ses forces nucléaires ; ils concourraient aussi à notre propre évaluation de la situation. Un tel satellite d’observation est parfaitement concevable dans l’état actuel de l’astronautique européenne ». Dans le cadre de l’Union de sécurité européenne, la coopération sur les armements pourrait et devrait s’imposer davantage. « Planifiée et organisée en commun, la logistique devrait utiliser à plein les voies de communication et les ports français ». La France devrait également participer avec des forces classiques à la défense de l’avant en RFA « non plus éventuellement, mais sur la base d’un contrat ouvertement proclamé ». La RFA n’a que 225 kilomètres de large. Entre la France et nous, ni Manche, ni océan. Si la RFA est attaquée, et cela vaut pour la France, tout se jouera, non en semaines ou en jours, mais en heures. « Sitôt l’agression, toutes les forces, y compris les françaises, doivent agir en parfaite coordination, sous commandement unique. Plus ce sera clair, meilleur sera l’effet dissuasif et moindre le risque de guerre. Pour la France aussi ».
7. Bien entendu, l’actuelle structure de commandement de la défense européenne n’a rien d’intangible, « mais il faut préserver son caractère d’organe militaire toujours prêt à réagir : il donne à l’Alliance une cohésion qui va au-delà des termes du traité et assure la coopération efficace immédiate de tous les alliés en cas de guerre. C’est un point décisif pour le succès de la défensive ».
8. Dans le cadre d’une Union de sécurité, l’Europe serait capable de prendre en compte elle-même la représentation de ses intérêts : son absence de la table des négociations touchant à sa sécurité est à la fois peu digne et dangereuse.
9. D’ici 1992, France et RFA devraient abolir leurs frontières non seulement économiques et monétaires (comme promis à la CEE), mais aussi sur le plan « sécurité », les dispositions à prendre devant rendre impossible à un éventuel agresseur de les faire chanter ou de les attaquer séparément. « Le cauchemar réciproque (crainte française d’un neutralisme allemand, peur allemande d’être exclu de la totale solidarité d’alliance) ne devrait pas devenir de ces prophéties dont la répétition aboutit à la réalisation ».
10. D’où, trois objectifs prioritaires : Poursuite du désarmement classique, chimique et nucléaire, notamment pour les armes atomiques portant à moins de 500 kilomètres, en vue de parvenir à un équilibre approximatif en Europe. « Les Européens ne pouvant plus guère aller au-delà après « double zéro », tout dépend des Soviétiques ».
Fondation d’une Union européenne de sécurité faisant du pilier européen de l’Alliance une réalité militaire et politique : « À la France de mener le jeu ; sans sa participation totale, y compris militaire, l’unité de l’Europe sera un mot creux ».
Effort pour un ordre de paix s’étendant à l’Europe entière « en dépassant la partition de l’Allemagne ainsi que celle du continent, à partir d’un équilibre militaire et de l’Union politique à créer en Europe occidentale. Un tel ordre n’aurait de sens que fondé sur l’héritage culturel européen : primauté du droit sur l’État, respect de la dignité humaine, droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, droits de l’homme pour chaque individu ».
Et Dregger conclut : « En protégeant sa liberté et son existence, l’Union européenne de sécurité ouvrirait la voie à un tel ordre pacifique pour la totalité de l’Europe. Michel Rocard, un des hommes politiques éminents du parti socialiste français déclarait récemment à la journée des Églises évangéliques que la puissance et l’intérêt sont en politique les facteurs déterminants. On le contredit, exigeant la confiance ! Confiance en Gorbatchev et en l’Union soviétique ! Qui connaît l’histoire sait qu’accorder à la légère sa confiance est le plus sûr chemin vers la guerre ou la servitude, que les responsables de la sécurité d’une communauté doivent bien être ouverts aux développements nouveaux, mais tout en les accueillant avec un scepticisme critique et prudent. Si, contre toute probabilité, Gorbatchev répudiait l’idéologie communiste et l’héritage tsariste, si l’Union soviétique devenait progressivement une puissance respectueuse du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, alors la paix serait effectivement plus assurée et nul ne s’en réjouirait davantage que nous autres Allemands.
Une guerre en Europe serait terrible pour tout le monde mais plus encore pour notre patrie écartelée. Même sans emploi d’armes nucléaires et chimiques, il ne resterait plus grand-chose de l’Allemagne après le choc sur son sol des deux stratégies, offensive du Pacte de Varsovie et défensive de l’Alliance atlantique. Si l’URSS acceptait de démanteler son actuelle capacité d’invasion en Europe, c’est très volontiers que nous limiterions considérablement notre effort de défense. Mais tant que perestroïka se présentera à nous comme un rêve, tant que le tournant de la politique étrangère et militaire de l’Union soviétique consistera en paroles et en accords de désarmement, comme l’option double zéro qui renforce plutôt ses possibilités contre nous au lieu de les diminuer, notre devoir politique, militaire et moral est de prendre nos précautions. Et cette tâche, nous continuerons à l’assumer ».
Jean Rives-Niessel
(1) Étoile montante de la CDU vers 1975, l’actuel président du groupe parlementaire CDU/CSU au Bundestag était revenu très impressionné d’une visite à la Force nucléaire stratégique (FNS) et décidé à rechercher toutes les modalités permettant de la faire concourir aux intérêts de l’Europe (NDT).
(2) « Par une ironie de l’histoire, trop d’Européens n’ont pas compris quel supplément, pour eux de sécurité, et pour les Américains de risque, représentait le déploiement en Europe des Pershing II et des missiles de croisière, ni à quel point était aberrant d’accueillir ce geste allié de généreuse solidarité par des autodafés de drapeaux américains et autres manifestations stupides ».