Défense dans le monde - Quelle défense pour le Japon ?
Parmi les sujets évoqués par le président Reagan au cours de sa récente visite officielle au Japon, celui de la sécurité a figuré en bonne place. Il ne pouvait d’ailleurs pas en être autrement.
Au plan international, la question des euromissiles envenime encore un peu plus les relations Est-Ouest et le redéploiement éventuel des SS-20 pourrait concerner l’Asie de l’Est.
Au plan régional, l’assassinat de M. Aquino aux Philippines, le 21 août 1983, a posé de façon prématurée le problème de l’après Marcos et peut-être de l’avenir des bases américaines dans l’archipel. La destruction du Boeing sud-coréen par la chasse soviétique, le 1er septembre 1983, a révélé brutalement l’absence de scrupules de Moscou et certaines faiblesses vraisemblables de son dispositif militaire en Asie qui ne manquera donc pas d’être réévalué au moins quant à son efficacité. L’attentat de Rangoon, le 9 octobre 1983, éclaire d’une lumière crue la crispation de la Corée du Nord vis-à-vis des efforts d’ouverture de Séoul.
Ainsi, l’environnement du Japon reste générateur d’inquiétude pour ce pays dont la politique de défense est enfermée dans un cadre constitutionnel très ambigu qui apparaît presque irréaliste dans notre contexte international. Aussi assiste-t-on depuis la promulgation de la constitution de 1947 à une évolution particulièrement précautionneuse dont il serait intéressant de rappeler les étapes principales.
Signé en 1951, le traité de sécurité nippo-américain découle logiquement de l’existence dans la constitution japonaise imposée par les États-Unis de l’article 9 qui interdit au Japon d’entretenir une véritable armée et de recourir à la guerre. Ce sont donc les alliés américains qui se chargent de la défense de l’archipel en y maintenant des forces armées.
En fait, ce n’est que le 9 juin 1954 qu’une loi donne naissance aux forces d’auto-défense qui reçoivent pour mission de protéger le pays contre toute agression directe ou indirecte du territoire par une puissance étrangère et de repousser l’agresseur hors du pays si celui-ci venait à être envahi.
À l’abri du parapluie nucléaire américain auquel il aurait recours en cas de grave danger, le Japon limite volontairement pendant une trentaine d’années son effort militaire au strict minimum.
Cependant, dès 1970, une évolution s’amorce progressivement sous la pression d’événements extérieurs. La crise pétrolière de 1973 met en évidence la dépendance énergétique du pays vis-à-vis de l’étranger et l’impérieuse nécessité d’assurer la protection des voies d’approvisionnement.
Deux années plus tard, le retrait des troupes américaines du Vietnam et l’annonce faite par le président Carter de leur prochain désengagement du territoire sud-coréen créent au Japon un sentiment d’incertitude quant au maintien de la présence militaire américaine en Asie.
En outre, à partir de 1978, l’accroissement des capacités militaires de l’URSS en Extrême-Orient et dans le Pacifique Nord, l’intensification de ses activités aériennes et navales autour de l’archipel, la militarisation de la mer d’Okhotsk et des îles Kourile inquiètent au plus haut point les dirigeants nippons.
C’est aussi à cette époque que les États-Unis ont entrepris et diversifié leurs pressions sur le Japon pour obtenir de sa part une plus grande participation aux responsabilités de défense de la région.
La modernisation des forces d’autodéfense a donc été entreprise, des études menées et des exercices programmés afin d’améliorer la coopération avec les forces américaines.
En effet, le fondement de la sécurité japonaise reste le pacte de sécurité mutuelle toujours en vigueur. Les États-Unis entretiennent des forces évaluées à 47 000 hommes répartis dans différentes bases de l’archipel.
Le Japon pour sa part dispose aujourd’hui d’environ 270 000 hommes, 890 chars, 160 navires de guerre et 330 avions de combat. Son budget de la défense – 12 milliards de dollars en 1983 – est le 8e du monde. Par ailleurs, le plan d’équipement militaire à moyen terme 1983-1987 prévoit un budget global d’environ 60 Mds de dollars qui serviront notamment à l’acquisition de 373 chars, 49 bâtiments de guerre, 50 avions anti-sous-marins et 75 appareils de combat McDonnell Douglas F-15 Eagle.
Depuis l’arrivée au pouvoir du président Reagan, la pression exercée par les États-Unis pour que le Japon augmente son effort de défense s’est encore accentuée. Elle porte en particulier sur une contribution plus grande à l’entretien des forces américaines stationnées au Japon, le transfert vers les États-Unis de technologies à usage militaire et la défense par le Japon de ses voies de communication maritimes dans un rayon de 1 000 nautiques.
Premier ministre depuis un peu plus d’un an, M. Nakasone se montre plus réceptif que ses prédécesseurs aux demandes formulées par Washington. Ses prises de position au lendemain de son élection ont provoqué surprise et satisfaction aux États-Unis. Dans une interview accordée à’un journal américain au début de l’année et qui fit grand bruit, sa comparaison de l’archipel japonais « un porte-avions insubmersible » qui devrait être capable d’empêcher la pénétration dans son espace aérien des bombardiers stratégiques soviétiques Tu-22M Backfire fut applaudie à Washington, mais souleva bien des controverses au Japon.
L’objectif de M. Nakasone en matière de défense est manifestement d’engager son pays aux côtés des États-Unis et des alliés occidentaux face à la menace soviétique. Cette conception stratégique nouvelle apparaît pour la première fois dans le Livre blanc 1983 de la défense. Pour atteindre son but, le Premier ministre devra faire tomber l’un après l’autre les obstacles qui se dressent devant lui. Le premier d’entre eux, limitant le budget de la défense à 1 % du PNB, pourrait être franchi au cours de la prochaine année fiscale. La décision prise récemment d’autoriser le transfert de technologies militaires vers les États-Unis constitue quant à elle une première entorse à l’interdiction des exportations d’armements. Demeurent les 3 principes antinucléaires (non production, non possession, non introduction d’armes nucléaires) et surtout une constitution dont seul un amendement de l’article 9 permettrait au chef du gouvernement de mener à bien sa politique de défense. Or, une majorité des deux tiers de la Diète, le Parlement japonais, indispensable à la révision de la constitution ne peut être obtenue que s’il existe un consensus national sur les problèmes de défense. Le gouvernement multiplie donc ses efforts pour faire naître dans le pays et chez les jeunes en particulier un sentiment patriotique qui avait beaucoup perdu de son intensité au lendemain de la défaite de 1945. La menace de redéploiement des SS-20 en Sibérie asiatique et la récente destruction du Boeing sud-coréen pourraient favoriser les desseins de M. Nakasone, à moins, ce qui paraît peu envisageable actuellement, que l’opinion publique ébranlée par ces événements ne cède à la tentation neutraliste et ne fasse siennes les thèses d’une gauche pacifiste et antinucléaire pour laquelle une politique de paix et de coopération avec l’URSS est la seule voie de salut possible. On sait que les nouvelles élections laissent à M. Nakasone sa place de Premier ministre mais avec une autorité qui paraît affaiblie. Que deviendra son programme militaire ? ♦