Aéronautique - L'avenir d'Ariane
La réussite parfaite des deux derniers tirs L6 et L7, vient de conforter l’Europe dans les espoirs qu’elle avait mis sur le programme Ariane. Le dernier succès est d’autant plus significatif qu’il s’agissait d’un lancement commercial destiné à placer en orbite géostationnaire, un satellite de télécommunications Intelsat 5.
Cette réussite du lanceur européen intervient dans un contexte particulièrement favorable, puisqu’il correspond au retrait de service progressif des lanceurs conventionnels américains du type Thor Delta et Atlas Centaur, appelés à être remplacés par la navette spatiale. Si cette dernière possède d’immenses qualités et offre dans la conquête spatiale des possibilités extraordinaires, il est un domaine dans lequel elle semble moins bien adaptée que les lanceurs conventionnels : la mise en orbite géostationnaire de satellites commerciaux.
La navette est conçue pour atteindre des orbites dont l’altitude maximale est d’environ 900 kilomètres ; or pour les satellites géostationnaires elle se situe à 36 000 km. Pour réaliser le transfert, un système propulsif particulier IUS (Inertial Upper Stage) est accolé au satellite et transporté dans la baie cargo jusqu’à l’orbite basse ; il assure ensuite la propulsion pour atteindre l’orbite haute désirée.
Il s’agit donc d’une opération en 2 temps, avec tous les risques qui en résultent, alors que dans le cas d’Ariane, l’injection d’un satellite en orbite de transfert géosynchrone se fait d’une manière particulièrement directe et donc plus fiable.
• Le marché
Les experts estiment que dans les 10 années à venir, les satellites géostationnaires représenteront environ 85 % du marché mondial. Compte tenu des remarques précédentes et des 250 lancements prévus entre 1985 et 1991, on mesure la part qui peut revenir au lanceur Ariane.
Ce gigantesque marché présente en contrepartie une exigence pour le constructeur, celle de s’adapter en permanence à la demande des clients potentiels.
Or, dans les prochaines années, les masses des satellites vont croître. Les valeurs les plus courantes avancées pour la prochaine décennie oscillent entre 7 500 kilogrammes et 15 000 kg pour les orbites basses, entre 2 400 kg et 4 500 kg pour les orbites géostationnaires.
Actuellement, les performances du lanceur Ariane 1 permettent de placer 1 800 kg en orbite géostationnaire. À titre indicatif, les satellites de télécommunications du type Intelsat 6, qui seront prêts en 1986 auront une masse comprise entre 3 700 kg et 4 300 kg. Cette simple comparaison met en évidence le chemin à parcourir pour satisfaire la demande.
• La Filière Ariane
La solution choisie par l’Agence spatiale européenne (ESA) pour Ariane, est identique à celle adoptée pour les lanceurs américains ou soviétiques, à savoir la filière qui consiste à améliorer les performances d’un lanceur de base en le faisant bénéficier de tous les progrès technologiques et en lui accolant des accélérateurs auxiliaires.
La voie de la filière Ariane est bien engagée, puisque les décisions gouvernementales ont été prises en 1980 pour le développement d’Ariane 2 et 3, en 1982 pour celui d’Ariane 4.
• Ariane 3
Sans entrer dans les détails, la fusée Ariane 3 se différencie de la version actuelle, par une série d’innovations à tous les niveaux.
La poussée des moteurs Viking 5 du 1er étage et Viking 4 du 2e étage est accrue par élévation de la pression de combustion et augmentation de l’impulsion spécifique.
Deux accélérateurs à poudre d’un poids de 7 400 kg et délivrant une poussée unitaire de 70 tonnes, sont accolés au premier étage et largués pyrotechniquement.
Les performances du 3e étage sont améliorées par un accroissement de la poussée du moteur et par l’augmentation de la masse d’ergols passant de 8 à 10 t.
Il convient de signaler enfin l’allongement du système de lancement double SYLDA, sorte de coiffe conique qui permet l’emport simultané de deux satellites.
Côté performances, la fusée Ariane 3 placera en orbite géostationnaire une charge utile de 2 500 kg à comparer aux 1 800 kg d’Ariane 1. Concrètement une telle masse représente, soit un gros satellite de télécommunications ou de télévision en tir simple, soit 2 satellites de 1 140 kg chacun en tir double en utilisant la coiffe SYLDA. Le premier lancement est prévu fin mai 1984.
• Ariane 2
La fusée Ariane 2, qui reprend toutes les améliorations de la version précédente, s’en différencie par l’absence des 2 accélérateurs à poudre. Elle pourra placer en orbite géostationnaire une charge de 2 000 kg. Le premier lancement se situe au printemps 1985.
• Ariane 4
La version Ariane 4, sensiblement plus performante, sera disponible en 1986, les principales améliorations portant sur le 1er étage et sur les coiffes.
– Le 1er étage allongé, recevra 226 t d’ergols à comparer aux 145 t des versions précédentes.
De plus, le lanceur pourra disposer d’accélérateurs à poudre aux performances accrues et de nouveaux accélérateurs à liquide utilisant des moteurs Viking 6 et contenant chacun 36 t d’ergols. En fonction du choix des accélérateurs, on disposera en fait de 6 lanceurs différents.
– Les coiffes d’Ariane 4 seront disponibles en 3 longueurs et un nouveau système SPELDA autorisera les lancements simultanés de 2 et même 3 satellites.
Offrant 6 versions différentes, ce lanceur pourra placer en orbite géostationnaire des charges utiles comprises entre 2 et 4,2 t. Cette version possède les performances requises pour placer en orbite géostationnaire les satellites du type Intelsat 6.
• Ariane 5
Les études concernant le lanceur destiné à remplacer Ariane 4 en 1995 sont menées conjointement par le CNES et par l’ESA. Seules les performances exigées sont clairement définies : elles sont de 8 t en orbite géostationnaire et de 15 t en orbite basse, soit une capacité double d’Ariane 4.
Deux solutions sont envisagées :
– la première se situe dans le cadre de la filière Ariane en utilisant l’acquis technologique et opérationnel ;
– la seconde fait appel à un nouveau lanceur permettant d’abaisser sensiblement le prix du kilogramme de charge utile.
Technologiquement, ces solutions passent par l’emploi pour le 3e étage d’un moteur cryogénique, utilisant oxygène et hydrogène liquides, de forte poussée. Présenté conjointement par le CNES et la Société européenne de propulsion (SEP), le moteur HM 60 offre une réponse satisfaisante ; sa poussée minimale est de 900 k Newtons soit 15 fois plus que le moteur cryogénique HM 7 du 3e étage de l’actuel lanceur Ariane.
Les études entreprises doivent aboutir à une proposition concrète de développement d’un moteur. Si le contrat de développement est passé en janvier 1984, les essais de composants, puis du moteur complet devraient aboutir à un premier vol au cours de l’année 1991.
• Les coûts
Il ressort des lignes qui précèdent que la filière Ariane permettra d’obtenir les performances exigées par les clients ; cependant, la réussite commerciale passe également par des prix attractifs, car il ne faut pas oublier que plusieurs lanceurs sont en concurrence. Or l’abaissement des coûts passe obligatoirement par un fort taux de récupération des éléments du premier étage en vue de leur réutilisation. Les essais vont débuter, et seront étendus aux différents types d’accélérateurs.
Dix ans d’efforts ont été nécessaires pour que la décision spatiale européenne prise le 13 juillet 1972 concernant le programme de développement Ariane se traduise par un succès opérationnel et commercial. Cette percée spectaculaire de l’Europe spatiale doit être poursuivie en offrant aux futurs clients une gamme élargie de lanceurs correspondant à leurs besoins. ♦