Coloniale - La situation en Indochine - Négociations avec le Siam
La situation en Indochine
Nous avons dit, le mois dernier, l’avance rapide que les troupes du général Leclerc ont opérée dans le Sud-Annam. Elles ont atteint Nha-Trong, à 250 kilomètres au nord-est de Saïgon. Au Sud, nos forces ont occupé également Hatien et Rach Gia, sur le golfe du Siam et ont achevé la pacification de la région de la pointe de Ca-Mau, de sorte que tout le territoire situé au sud du 16e parallèle est actuellement sous le contrôle effectif de nos troupes. La Commission mixte franco-britannique qui exerçait le contrôle militaire de l’Indochine méridionale a été dissoute et a remis ses pouvoirs à l’autorité française. Le calme et le travail reprennent en Cochinchine où les dépêches de presse annonçaient le mois dernier que les rapports se détendent entre Français et Annamites et même signalaient des manifestations de loyalisme de la population.
Au Cambodge, un modus vivendi, passé le 7 janvier 1946 entre le général Alessandri et le Premier ministre cambodgien, Prince Monireth, règle provisoirement les rapports de la République française et du Royaume kmer, cependant qu’une commission mixte élabore la future constitution cambodgienne. Le modus vivendi du 7 janvier 1946 fait du Commissaire de la République au Cambodge le conseiller personnel du Roi. Représentant la République et la Fédération indochinoise auprès du souverain, la Commission exerce des pouvoirs réglementaires pour tout ce qui intéresse les Français, les étrangers et les Indochinois autres que les Cambodgiens. L’Administration cambodgienne assurera désormais les services locaux qui seront dirigés par des fonctionnaires indigènes, assistés de conseillers ou d’adjoints français, ou par des fonctionnaires français sous l’autorité de ministres cambodgiens. Le pays est divisé en six régions qui seront dirigées par les « chaufai-khet » et les régions comprennent plusieurs provinces administrées par des gouverneurs cambodgiens. Il n’existe plus de résidents français, les régions étant sous la seule autorité des chaufai-khet, mais à l’échelon provincial, des administrateurs français joueront le rôle de conseillers auprès du gouverneur indigène.
Bien qu’elle soit légèrement détendue, la situation, au nord du 16e parallèle n’est pas, bien entendu, aussi réconfortante que dans le Sud. On avait fait grand cas, en décembre 1945, des élections que le Viet-Minh avait annoncées pour le Congrès annamite. Ces élections, qui avaient été primitivement fixées au 23 décembre, ont été ajournées au 1er, puis au 6 janvier 1946. Il ne semble pas que cette consultation ait été strictement « démocratique ». Non seulement, des « Comités du peuple » avaient été institués dans chaque secteur électoral pour dresser les listes d’électeurs avec des pouvoirs quasi-dicrétionnaires, mais encore les chefs du Viet-Minh et de deux autres partis rivaux avaient conclu le 23 décembre une convention pour se répartir d’avance les sièges au Congrès. On ne connaît pas exactement le nombre de voix que les trois principaux partis ont recueillies. Mais on sait que M. Ho Chi Minh, président du Viet Minh, a obtenu 98,5 % des suffrages, et ce n’est pas un record, puisque le prince Vinh Thuy, l’ex-empereur d’Annam, Bao Daï, candidat dans la province de Tanh-Toa, a atteint les 100 %. Ce sont là, évidemment, des pourcentages qui peuvent faire rêver l’électeur des démocraties occidentales, mais il faut considérer que les élections annamites du 6 janvier constituent une nouveauté, qu’elles ont été improvisées et qu’enfin elles se sont déroulées dans une atmosphère dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle manquait de sérénité. Naturellement, il n’est pas possible de savoir l’incidence politique que ces solutions exerceront sur les relations franco-annamites, ni même si elles en exerceront une. Mais il est certain qu’on a constaté en janvier et février que la tension entre autorités françaises et annamites du Tonkin semblait se relâcher. Vers la mi-février, M. Sainteny, Commissaire de la République au Tonkin, s’est longuement entretenu avec M. Ho Chi Minh et, bien que rien n’en ait été divulgué, on espère beaucoup de cet entretien en Indochine.
L’amiral d’Argenlieu, dont on avait annoncé, puis démenti, la présence à Paris au début de février, est arrivé le 19 et s’est entretenu aussitôt avec M. Félix Gouin et M. Marius Moutet, ministre de la France d’Outre-mer. « Il est encore trop tôt, a déclaré le Haut-Commissaire, après son entretien avec M. Marius Moutet, pour donner des détails sur la politique qui sera adoptée en Indochine. L’évolution de notre travail est satisfaisante. Je pense réussir selon mes vues. » La situation indochinoise a été examinée le 20 février 1946 au Conseil des ministres, qui a approuvé l’exposé et les conclusions de M. Marius Moutet. Si le communiqué du Conseil était laconique, des commentaires qui en ont été donnés, révélaient que « des négociations sont en cours » et que l’amiral d’Argenlieu était en plein accord avec le ministre de la France d’Outre-mer qui, on le sait, est partisan d’une politique libérale. « La situation, concluait le commentaire, évolue de jour en jour dans un sens que le Gouvernement croit être favorable. » Il est évident que le Gouvernement ne peut, sans risquer de compromettre les négociations qu’il a ouvertes, en dire davantage. Mais c’est déjà beaucoup que des conversations soient engagées à Hanoï et l’on peut entrevoir une solution pacifique au conflit qui désole l’Indochine depuis le mois d’août (NDLR : un accord a été signé à Hanoï avec le Viet Nam, le 6 mars 1946).
Ce n’est pas seulement la situation intérieure qui évolue favorablement ; les problèmes extérieurs semblent aussi en voie de solution. Les négociations avec la Chine, dont nous avons souvent parlé ici, ont, enfin, abouti. Nous y reviendrons dans une prochaine chronique.
Négociations avec le Siam
On ne sait rien de nos affaires siamoises, sinon que le Département d’État a informé les gouvernements français, siamois et britannique, qu’il ne reconnaissait pas la validité du transfert des provinces cambodgiennes et laotiennes opéré en mai 1941 au profit du Siam. Sans préjuger la valeur de la frontière d’avant 1941, les États-Unis estiment que le Siam doit restituer ces provinces, sauf à demander ultérieurement d’éventuels rajustements de frontière. Cette déclaration a été fort mal accueillie par cette partie de la presse américaine, résolument anti-colonialiste, qui, voulant ignorer l’histoire, même la plus récente, s’obstine à considérer le Siam comme l’innocente victime de l’impérialisme franco-britannique. Mais on veut espérer qu’elle facilitera la rétrocession au Cambodge et au Laos des provinces qui leur ont été enlevées en 1941. ♦