La France de Louis XIV
Nous possédions déjà des études que l’on pouvait croire définitives sur le Roi-Soleil, à commencer par celle d’Ernest Lavisse dans son Histoire de France et par celle de l’Académicien Louis Bertrand dans la collection Fayard. M. Pierre Gaxotte qui a entrepris, semble-t-il, la réhabilitation de quelques-uns de nos rois et avait essayé, avec le talent qu’on lui connaît, de nous persuader que Louis XV avait été un grand monarque, s’est, cette fois, attaqué à une tâche plus aisée.
En 400 pages à peine, il a brossé un tableau d’ensemble de la France sous Louis XIV. C’est dire que le roi n’est plus, comme dans la plupart des œuvres antérieures parues à ce sujet, le centre unique de l’exposé et les considérations de l’auteur. C’est tout autant une peinture de la nation elle-même qu’un portrait de son chef. M. Pierre Gaxotte qui, sans doute à dessein, passe sur bien des faiblesses de ce grand roi, s’attache surtout à nous dépeindre son labeur incontesté, sa puissance de travail et d’organisation, la façon véritablement géniale dont il sut s’entourer de grands commis, ou prestigieux, ou étonnants d’application.
Plus encore que la partie traditionnelle, pourrions-nous dire, qui y traite de la politique extérieure et de l’histoire des batailles, ce qui nous a particulièrement intéressé dans le livre de M. Pierre Gaxotte, c’est l’importance justement attribuée par lui à l’analyse des faits économiques, financiers et même monétaires. C’est là une étude qui n’avait pas été, semble-t-il, possible pour ses devanciers, étant donné que les faits et mémoires relatifs à la question des prix aux conditions de la vie matérielle, dans les différentes provinces, à l’afflux des métaux dans l’Europe de l’ancienne monarchie, aux variations des doctrines monétaires et financières, sous Louis XIV et ses prédécesseurs, étaient jusqu’ici restés inaccessibles aux historiens, même fussent-ils de la taille d’un Ernest Lavisse.
Très honnêtement, M. Pierre Gaxotte signale dans de précieuses notes bibliographiques à la fin du volume tout ce qu’il doit à des chercheurs comme M. Hauser, Robert Latouche, G. Lefebvre, J. Meuvret, etc. Mais l’influence qu’il se plaît à reconnaître comme ayant été particulièrement décisive sur son esprit, est celle du regretté Marc Bloch, l’éminent historien de l’économie du Moyen-Âge, victime de la barbarie allemande, avec qui, pendant plus d’une année, Pierre Gaxotte a partagé un refuge en même temps que de très fructueuses méditations et conversations sur ces sujets capitaux.
Il ressort de ces considérations que, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, à n’envisager que le faste de ses constructions et l’éclat de ses beaux-arts, le règne de Louis XIV fut, du point de vue économique, une période de déflation, par moments extrêmement difficile à supporter par la Nation et à diriger par le gouvernement. Malgré l’admiration qu’il ne dissimule pas pour l’ensemble de son œuvre, Pierre Gaxotte ne cherche pas non plus à excuser la lourde faute, économique aussi bien que politique, commise par le Roi-Soleil au moment de la révocation de l’Édit de Nantes et qui eut pour résultat l’exode massif de centaines de milliers, certains disent même davantage, de ses meilleurs sujets huguenots, bons artisans, marins, soldats, professeurs, tous gens énergiques et laborieux que se disputèrent les monarques protestants, grâce à une réclame bien montée, et qui furent, plus tard, utilisés par les ennemis de notre pays contre leur ancienne patrie.
Dans sa sobriété, livre plein de faits, riche d’idées neuves, exposées avec la lucidité que l’on s’était plu à reconnaître, dans ses ouvrages historiques antérieurs, à l’historien de Louis XV et de Frédéric II.