Les Indes secrètes
Nous avons déjà plusieurs fois signalé l’intérêt de certains grands reportages anglo-saxons pour la politique générale et la connaissance du monde de la période d’avant la guerre, de la guerre et de l’après-guerre. Celui de Beverley Nichols sur Les Indes secrètes, paru dans une bonne traduction de René Jourdain, est de cette classe. L’auteur est resté pendant plus d’une année dans l’Inde ; il y a vécu à peu près seul, à l’abri de la propagande et de l’appui officiel ; il a cherché à connaître véritablement l’esprit indien, non seulement en matière de politique, mais en tout ce qui concerne l’art, la littérature, la musique, la médecine, le journalisme, le cinéma et, naturellement, la religion – sans la connaissance profonde de laquelle il n’est pas possible de rien comprendre de l’âme indienne.
Le diagnostic porté sur cet étrange pays manque de la moindre indulgence ; il n’est pas une croyance ou une coutume qui ne soit disséquée avec la lucidité parfois la plus féroce. Aucune des gloires, ou soi-disant gloires universellement connues, à commencer par celle de M. Gandhi, qui fut avalisée par les Occidentaux les plus illustres, ne trouve grâce devant le regard perçant de Beverley Nichols. Il résulte de cette série d’études, impartiales et neuves, que l’Inde est un pays à peu près impossible à transformer rapidement en une nation civilisée, que la prétention de beaucoup d’Anglais et Américains de bonne foi à respecter son unité est vaine et que la seule solution à envisager dans un avenir aussi rapproché que possible serait la séparation radicale du Musulman et de l’Hindou. Si, comme leur conseille Beverley Nichols, les Anglais consentent à partir des Indes, ce ne devrait pas être avant la mise sur pied de cette solution fondamentale.
En tout cas, quelles que soient les fautes commises par ses compatriotes, l’auteur, qui ne se fait aucune illusion sur leurs erreurs et, surtout, sur leur manque d’imagination, revendique en leur faveur un mérite essentiel, celui d’avoir donné aux Indes la paix et, aux tumultueux adversaires de la Grande-Bretagne eux-mêmes, le sentiment d’une liberté dont ils n’useraient sans doute pas à l’égard de leurs adversaires.