La paix calomniée ou « les Conséquences économiques » de M. Keynes
La librairie Gallimard a eu une très heureuse idée en publiant la traduction d’un livre dont l’original est anglais et qui a paru à l’Oxford University Press. L’auteur est pourtant le fils d’un Français qui a passé toute sa vie au service du rapprochement des peuples et, lui-même, un grand Français qui, faisant la guerre sans l’aimer, l’a sacrifiée, magnifiquement et lucidement, quelques jours avant la victoire, près d’un petit village bavarois de la vallée du Danube, le 29 avril 1945.
Étienne Mantoux avait eu la chance d’unir, dans sa belle et vaste intelligence, les avantages des deux cultures, française et britannique, et de travailler aussi à Genève. Attiré par les études économiques, il fut le disciple du professeur Robbins, l’élève de Laski et Hayek. C’est comme en se jouant des difficultés d’une langue qui n’était pas la sienne qu’il a, tout jeune encore, rédigé ce livre capital sur la « paix carthaginoise ». Le thème en est essentiel et le sujet ne manque pas d’audace, car il s’agit, d’un bout à l’autre, d’une réfutation hardie et logique du fameux livre de M. Keynes Economic Consequences of the peace qui, grâce à la notoriété et au talent de leur auteur, avait exercé sur la pensée politique, économique et sur l’opinion même d’Outre-Manche, une influence aussi décisive que néfaste.
L’essentiel de la thèse d’Étienne Mantoux, c’est que le Traité de Versailles, si durement critiqué par le grand financier britannique, n’était pas aussi mauvais qu’il avait bien voulu essayer de le démontrer, qu’il fut une œuvre de bonne volonté, qu’il redressa des torts séculaires et que, en tout cas, ses clauses économiques étaient, n’en déplaise à Keynes, techniquement fort possibles à réaliser. La Conférence de la Paix n’avait nullement oublié, comme on le croit trop souvent, l’importance de la reconstruction économique de l’Europe, ni celle de la nourriture, du charbon et des moyens de transport. Contre Keynes, qui prétendait que la population du pays vaincu serait, à cause du Traité de Versailles, vouée à une existence misérable, Étienne Mantoux prouve qu’au contraire l’Allemagne avait pu rapidement rétablir sa situation économique et que le paiement des réparations ne l’eût pas empêchée de retrouver sa prospérité si elle n’avait pas préféré se jeter dans des aventures et financer son réarmement. De même, Étienne Mantoux démontre d’une façon lumineuse la possibilité financière des réparations et, notamment, du problème des transferts.
Le livre est, d’ailleurs, inspiré par un profond idéalisme et l’amour de la paix. Étienne Mantoux ne haïssait pas l’Allemagne en tant que telle ; il la dénonçait comme puissance impérialiste et menace pour l’indépendance des peuples. L’événement a prouvé qui, des deux, de l’illustre Keynes ou de ce jeune Français plein de science, de raison et de courage, avait vu le plus clair.