1944 et les destinées de la stratégie
Tous ceux qui ont connu le général Doumenc ont admiré l’envergure et la clarté de son esprit. Une rapide analyse lui permettait de dépouiller les questions les plus complexes de toutes leurs données accessoires pour en définir les lignes essentielles et en hiérarchiser la valeur. Ces dons exceptionnels de prospection intellectuelle sont mis en relief par ce livre posthume. Celui-ci a bien comme objet les opérations de 1944 en France, mais l’auteur les situe dans une perspective très vaste qui embrasse l’évolution de la stratégie dans le passé et qui en jalonne les étapes dans l’avenir.
Les doctrines stratégiques ont partagé avec les écoles philosophiques le privilège des alternances de vogue et de discrédit. Leur succès, lié à la valeur d’un homme, se dérobait aux entreprises d’imitateurs sons génie. Avec une clarté lumineuse, l’auteur définit le fil conducteur des constantes stratégiques qui, dans la complexité chaque jour accrue des combats, en conditionne le succès. Un tableau des batailles de Cérisoles, Neerwinden, Craonac, de 1914-1918 les met en relief. Les batailles de 1944 en précisent l’action dans le cadre désormais continental et meublé des trajectoires de tous ordres de la guerre moderne.
Ces constantes obligent le chef :
1° À assurer sa liberté d’action que Napoléon demandait à ses organes de sûreté. En 1944, les Alliés, maîtres de l’heure et du choix de la zone de débarquement, en avaient le bénéfice intégral, tandis que les Allemands, en garde dans tous les azimuts, en étaient totalement privés.
2° À réaliser l’unité d’effort sur la zone, dont la conquête sera décisive. Pour cela, se ménager la supériorité des moyens en exploitant la surprise et en évitant une dispersion de forces que, par contre, on tâche d’imposer à l’ennemi. En Normandie, la connaissance exacte du dispositif allemand permit au Commandement allié de doser la force des premiers échelons débarqués et le rythme des débarquements successifs de telle sorte que la supériorité des moyens fut assurée en permanence, l’aviation et la résistance française se chargeant de retarder l’afflux des réserves allemandes, tandis que des diversions côtières contribuaient à les fixer sur place.
3° À accélérer l’usure de l’ennemi sur le front d’attaque en vue d’atteindre « le point critique » de la résistance qui ouvre le champ à l’exploitation (percée d’Avranches) dont la vitesse et la portée bénéficient désormais de l’action combinée de l’aviation, des chars et des unités motorisées.
Dans l’avenir, le jeu de ces constantes conférera un avantage substantiel et immédiat à l’agresseur sans scrupule, grâce à la puissance des actions aériennes et à l’intervention, possible sur tout le territoire, des troupes aéroportées. La surprise, les désordres infligés à notre mobilisation et à notre concentration risquent, dès le premier jour, de compromettre la liberté d’action de notre commandement, si celui-ci n’est pas solidement établi sur le seul obstacle susceptible d’arrêter les attaques brusquées terrestres : le Rhin et s’il ne dispose d’une puissante aviation de défense sur tout le territoire.
Ce livre de clarté pose, à la lumière des enseignements du passé, les données essentielles de notre défense nationale de demain.