Économique - Débuts difficiles à l'Union européenne des paiements (UEP)
Nous avons, dans notre chronique d’octobre 1950, rendu compte de la création de l’Union européenne de paiements (UEP). On sait que cet organisme, fondé par les pays membres de l’Organisation européenne de coopération économique (OECE) et avec l’appui des États-Unis, a pour objet de rendre interconvertibles les monnaies européennes. Ainsi, chaque pays européen n’a plus à se préoccuper que de son solde global envers toute l’Europe occidentale et n’a plus à rechercher l’équilibre de ses échanges avec chacun de ses coéchangistes.
Au terme du premier semestre de fonctionnement de l’UEP, d’assez sérieuses difficultés sont apparues. Dès le mois d’octobre, la situation de l’Allemagne révéla un déséquilibre profond ; celui-ci ne fit que s’accentuer, de telle sorte qu’à fin novembre l’Allemagne avait encouru envers l’Union un déficit supérieur à son quota, c’est-à-dire supérieur au montant maximum des crédits pouvant théoriquement lui être accordés. D’après les experts, une telle situation résultait de deux causes. Tout d’abord, l’Allemagne a développé ses importations dans des proportions considérables depuis le conflit coréen, pour stocker des matières premières et développer sa production. Cette politique a été rendue possible par une large expansion du crédit intérieur. D’autre part, le déficit commercial de l’Allemagne a été accru par ce fait que les importations sont payées comptant, tandis que les industriels allemands, pour conquérir des marchés extérieurs, accordent de larges crédits à leurs clients.
En présence de ce grave déséquilibre, l’OECE a recommandé à l’Allemagne de freiner ses importations, et aux autres pays d’accueillir plus largement les exportations allemandes. En outre, pour permettre à l’Allemagne de continuer ses paiements, un crédit spécial, hors quota, lui a été ouvert par l’Union. Ce crédit atteint 120 millions de dollars, est remboursable à la fin de 1951, et porte intérêt à 2,75 %. On voit qu’il s’agit d’un crédit à très courte échéance : compte tenu de la cause principale du déficit (achats de matières premières), l’UEP a pensé qu’un accroissement des exportations devait en résulter dans un délai rapide. Toutefois, il est difficile de ne pas évoquer, à ce propos, le précédent du plan Dawes : une fois de plus, l’Allemagne développe sa puissance industrielle au moyen de crédits qui lui sont accordés par ses anciens vainqueurs. Quoi qu’il en soit, à la fin du mois de décembre, l’Allemagne avait utilisé 32,5 M $ sur le crédit spécial qui lui avait été accordé en novembre : ce chiffre fait ressortir un ralentissement de l’endettement allemand. En cinq mois, le déficit avait été de 324,2 M, soit environ 65 M $ par mois. La cadence actuelle n’atteint plus que la moitié de cette somme. Le proche avenir nous dira si les difficultés allemandes ont bien constitué une simple « crise de croissance ».
À l’inverse de l’Allemagne, la position de la France s’est, dès les premières opérations de l’Union, révélée largement créditrice. Pour les six premiers mois de l’UEP, nous avons accumulé 158,2 M $ de créances, tandis que nous recevions 54,2 M en or ou en dollars. Cette situation est due à l’évolution favorable de notre commerce extérieur en 1950 et aux progrès du tourisme étranger en France. Il est probable, toutefois, que l’évolution des cours sur les marchés internationaux de matières premières va renchérir nos importations et rendre plus délicat l’équilibre de notre balance des paiements.
La situation de l’Angleterre est particulière. Lors de la constitution de l’UEP, ce pays avait été considéré comme devant nécessairement, de par sa structure, être créancier des autres pays européens. On l’avait donc, à titre de créditeur « structurel » affecté d’un handicap, d’une position débitrice initiale fictive de 150 M $. À la fin du mois de novembre, ce déficit a priori avait été comblé et un solde créditeur accumulé. Fin décembre, l’Angleterre avait ouvert à l’Union 247,5 M $ de crédits, tandis que 35,5 M $ d’or lui avaient été versés par l’Union.
La position des Pays-Bas est l’inverse de celle de l’Angleterre. Considéré comme devant être débiteur, ce pays avait été affecté d’une position créditrice initiale fictive. Fin novembre, ce crédit était utilisé et, à la fin de l’année, les Pays-Bas avaient emprunté 75,5 millions de dollars à l’Union, tandis qu’ils lui versaient 2,4 M en or ou en dollars.
Quant à la Suisse, débitrice à fin décembre de 12,6 M $, elle a préféré payer sa dette en or plutôt que de recevoir un crédit de l’Union.
On voit, par l’exemple de ces principaux pays, que les mouvements les plus importants sont ceux qui affectent l’Angleterre, la France et l’Allemagne. Mais l’ampleur de la position créditrice de la France et de l’Angleterre paraît normale : en six mois, la France est créditrice de 212 M $ au total, par rapport à un quota de 520 M ; l’Angleterre est créditrice de 283 M (+ 150 M de solde initial) sur un quota de 1 060. Au contraire, le cas de l’Allemagne est véritablement un cas pathologique : en cinq mois, la totalité du quota a été épuisée et il a déjà fallu recourir à des procédés de financement extraordinaires.
On peut se demander, d’ailleurs, dans quelle mesure ces organismes artificiels de compensation internationale ne sont pas fatalement condamnés à des déséquilibres. Au temps lointain de l’étalon-or, un pays déficitaire à l’extérieur subissait une sortie d’or et y remédiait par la dévaluation de sa monnaie ou la hausse de son taux d’escompte. Le rééquilibre de sa balance se produisait alors, soit par les mouvements de marchandises (provoqués par les changements de prix relatifs), soit par les mouvements de capitaux. Avec la détérioration du mécanisme mondial du change, on eut recours aux accords de clearing, puis aux accords de paiements, puis à l’Union européenne de paaiements. Malgré leurs modalités diverses, tous ces organismes reposent sur le même principe : éviter les fluctuations des changes ou le « blocage » des échanges en mettant, plus ou moins automatiquement, des moyens de paiement à la disposition des pays déficitaires. Dans ces conditions, le déséquilibre est inévitable ; on peut même dire qu’il est encouragé. Déjà le développement des « arriérés de clearing » avait prouvé, avant la guerre, le caractère néfaste de l’octroi de crédits automatiques. Le fonctionnement de l’UEP vient confirmer cette observation : le pourcentage des paiements en or est trop faible pour provoquer un équilibre des balances. Celui-ci dépend, en définitive, de la bonne volonté du débiteur, ce qui ne laisse pas d’être un peu inquiétant quand le principal débiteur est l’Allemagne. ♦