La lutte pour l’Europe
L’auteur dit très ouvertement dans une préface la pensée qui l’a guidé en écrivant cet ouvrage : « En considérant le déroulement de la guerre à l’Ouest du point de vue de 1950, j’ai essayé de montrer non seulement de quelle manière fut renversé Hitler, mais aussi pourquoi Staline est sorti de là victorieux, comment la Russie est arrivée à remplacer l’Allemagne comme puissance dominante en Europe et comment Staline a réussi à obtenir de Churchill et de Roosevelt ce qu’il n’avait pas obtenu d’Hitler. » Par quels compromis une lutte de cinq années est-elle arrivée à ce résultat. C’est ce que cherche à établir cet ouvrage très fortement documenté et très habilement construit. Ces cinq années de guerre mondiale n’ont peut-être pas encore été présentées militairement, diplomatiquement, politiquement, d’une manière à la fois si complète et si claire. De nombreuses cartes ajoutent encore à la netteté de l’exposé.
Le livre a plus de neuf cents pages : un tiers est consacré à la progression victorieuse des armées d’Hitler ; un tiers à la bataille de Normandie ; un tiers à la marche sur Berlin. Chacune de ces parties présente un intérêt dramatique sans que jamais le récit s’écarte d’une parfaite simplicité. Le sort du monde est entre les mains de quelques personnalités puissantes. De leurs déterminations, de leur entente ou de leurs désaccords, de leur lutte est sortie cette Europe en ruines que l’on s’efforce aujourd’hui de reconstruire matériellement et spirituellement. De fines analyses nous présentent les principaux acteurs du drame aussi objectivement que possible, que ce soit Hitler, Roosevelt, Staline, Eisenhower, Montgomery, de Gaulle et bien d’autres. Quelle que soit l’objectivité à laquelle vise l’auteur, c’est en Anglais qu’il suit et apprécie les événements. Combattants et publicistes, il les a vus de près ; il apporte en en parlant son patriotisme d’Anglais. Il n’est pas sans critiquer la politique de Churchill ; mais on retrouve dans son ouvrage l’esprit qui anime les mémoires de Churchill, surtout dans les deux derniers volumes intitulés : Triomphe et Tragédie. Chester Wilmot souligne le désaccord entre Churchil et Eisenhower pour la préparation du débarquement en Europe. Ce n’est pas en Normandie, c’est aux Balkans que Churchill aurait voulu attaquer, car il craignait l’impérialisme russe. Ce n’est pas par l’Ouest que Churchill aurait voulu pénétrer jusqu’au cœur de l’Allemagne, c’est par le Sud pour arriver rapidement à Vienne et à Prague, car il craignait l’avance des Russes dans la marche sur Berlin. À l’égard de la Russie, les alliés sont allés de concessions en concessions que les préliminaires de Téhéran, les accords de Yalta et de Potsdam ont sanctionnés, et dont nous voyons aujourd’hui les effets.
Chester Wilmot laisse voir ses préférences ; il exprime ses regrets. Mais ses sentiments ne l’empêchent pas de dire son admiration pour les très grands mérites d’un Eisenhower et d’un Roosevelt ; il place très haut quelques généraux anglais, américains et allemands ; il a, pour Leclerc et de Lattre de Tassigny, en Alsace, des paroles très élogieuse. Que l’on partage ou non ses impressions et ses jugements, il nous retient toujours dans son livre par le tableau vivant des événements militaires et des actions diplomatiques. Cet ouvrage a eu en Angleterre un plein succès ; présenté en France dans une bonne traduction, il mérite d’être très bien accueilli. ♦