La double attaque de Barcelone et de ses alentours le jeudi 17 août marque une nouvelle étape dans la lutte engagée par Daech et ses affidés contre le monde occidental. En choisissant la ville de Barcelone comme cible, c’est également un signal fort envoyé à cette même communauté.
Et maintenant Barcelone ! (T 923)
And now Barcelona!
The double attack of Barcelona and its surroundings on Thursday, August 17 marks a new stage in the fight initiated by Daesh and his followers against the Western world. By choosing the city of Barcelona as a target, it is also a strong signal sent to the same community.
La double attaque de Barcelone et de ses alentours le jeudi 17 août marque une nouvelle étape dans la lutte engagée par Daech et ses affidés contre le monde occidental. En choisissant la ville de Barcelone comme cible, c’est également un signal fort envoyé à cette même communauté.
Barcelone, c’est « l’auberge catalane », la ville des revendications de toutes les libertés, avec une tradition antiétatique et anti-castillanne ancienne et forte se manifestant contre l’État espagnol incarné par Madrid, mais également avec une tradition libertaire et anarchiste qui s’est révélée depuis le XIXe siècle et a culminé durant la Guerre civile (1936-1939). Avec le retour de la Generalitat (statut d’autonomie hérité du Moyen-Âge) à l’issue du régime franquiste, Barcelone n’a cessé de se présenter comme la ville de toutes les tolérances – y compris sexuelles –, du pacifisme militant – au point de refuser un stand du ministère de la Défense lors d’un récent salon du livre –, de l’antiaméricanisme – pour protester contre le soutien de Washington à Franco – et comme une ville étendard de l’altermondialisme.
De ce fait, les attaques contre les Ramblas (avenue emblématique de Barcelon qui traverse la vielle ville) constituent un véritable choc et un traumatisme profond pour cette ville revendiquant son cosmopolitisme, que traduit d’ailleurs le bilan des victimes avec de nombreuses nationalités touchées y compris la France avec près d’un quart des blessés.
Certes, l’Espagne avait connu une terrible séquence lors des attentats d’Atocha le 11 mars 2004, ayant fait 191 morts et près de 2 000 blessés. La conséquence politique avait été la défaite surprise du Parti populaire de José Aznar et la victoire du PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol). L’une des premières décisions du nouveau président du gouvernement, José Luis Zapatero (2004-2012), avait été le retrait du contingent espagnol d’Irak, validant de fait l’objectif recherché par les terroristes islamistes.
Mais, depuis, la Péninsule semblait avoir été épargnée par la nouvelle vague initiée depuis l’échec des Printemps arabes à partir de 2012 (attentats de Toulouse). Pourtant, l’Espagne était aussi en première ligne sans que son opinion publique n’en ait réellement conscience, bercée par une insouciance et une totale illusion persistante des réalités stratégiques. Après le Franquisme où les armées constituaient le pilier central de l’État et une transition politique réussie, le pays avait été confronté à un terrorisme intérieur conduit par l’extrême-gauche et l’ETA (« Pays basque et liberté ») très violent. Ce n’est que très récemment que cette page qui a fait plus de 800 morts a été tournée. Concernant les questions de défense et de sécurité, les Espagnols ont depuis des décennies manifesté un réel désintérêt pour ces sujets, d’autant plus que la professionnalisation réussie des armées a totalement rompu le lien déjà ténu entre le monde civil et la communauté militaire.
Le « soft power » suffisait largement à l’Espagne, préférant la géopolitique du Real ou du Barça à celle des rapports de force. Cela a permis d’ailleurs de réduire de façon drastique le budget consacré à la Défense surtout à partir de la crise de 2008, au point de sacrifier un outil militaire pourtant de qualité. Celui-ci a été et reste peu utilisé pour des opérations extérieures et en tout cas avec des ambitions limitées. La guerre d’Irak avec la conséquence du 11 mars et les pertes en Afghanistan (100 morts) ont laissé des traces dans une opinion majoritairement ultra-pacifiste. À ce jour, les forces déployées – environ 3 000 hommes – se limitent à des opérations du bas du spectre et donc relativement consensuelles pour des Espagnols se sentant peu concernés par la gestion des conflits. Un peu de formation en Afrique, de la police du ciel en Baltique et des missions de surveillance maritime en Méditerranée ou dans l’océan Indien… Et une grosse unité d’intervention civile – l’UME (Unité militaire d’urgence) – pour permettre à la capitale Madrid de pouvoir exister dans la lutte contre les calamités naturelles sur le territoire national face aux communautés régionales.
La mise en œuvre de l’équivalent d’un plan Sentinelle semble en effet peu plausible en Espagne compte tenu du passé où durant des décennies, les armées avaient pour mission non la défense du territoire mais la lutte contre les ennemis de l’intérieur. Au mieux, quelques infrastructures vitales et situées ailleurs qu’en Catalogne et au Pays basque pourraient bénéficier d’une protection militaire. Pour le reste, les seuls efforts pourraient porter sur le renforcement des coopérations actuelles, notamment en Afrique subsaharienne, en renforçant notamment les
dispositifs de formation auprès des pays du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad). L’une des autres clés pour lutter contre le terrorisme djihadiste reste bien sûr la coopération en particulier avec le Maroc tant les enjeux de sécurité sont communs. Celle-ci est déjà efficace avec de nombreuses actions conjointes qui ont permis de démanteler plusieurs cellules djihadistes de part et d’autre du détroit de Gibraltar.
Mais il reste beaucoup à faire, d’autant plus que l’Espagne, jadis terre d’émigration est devenue terre d’immigration en provenance d’Afrique du Nord et de l’Ouest. Barcelone abrite ainsi une communauté musulmane importante où les phénomènes de radicalisation ont été observés depuis longtemps mais tolérés au nom de la liberté. Le paradoxe est que la politique culturelle et sociétale conduite par les autorités catalanes au nom du respect de la tolérance a eu pour effet d’accroître la radicalisation de certains islamistes souvent très jeunes, bénéficiant de la double nationalité et trop heureux d’un asile doré sous le soleil barcelonais.
C’est donc un véritable défi sécuritaire pour l’Espagne mais plus parti-culièrement pour la Catalogne qui hier encore, se voyait en une petite « Suisse méditerranéenne », loin des soubresauts tragiques qui frappent depuis 2015 justement l’Europe. Le réveil n’en a été que plus brutal surtout pour des autorités catalanes plus obnubilées par la rivalité avec Madrid que par la réalité géostratégique. C’est aussi le besoin d’une nouvelle approche obligeant les Espagnols à désigner un ennemi. Ce qui n’a plus été le cas depuis des décennies !
C’est donc un nouveau front qui s’ouvre sur la liste des pays ciblés par Daech avec cependant une certitude : la lutte sera longue – en l’occurrence une génération au moins – et impose de s’interroger sur la nature même de la menace djihadiste qui n’a qu’une seule tactique : créer le conflit des civilisations. ♦