La récente déclaration de Kim Jong-un annonçant un moratoire sur les essais nucléaires et les tirs de missiles balistiques intercontinentaux (ICBM) traduit le fait que Pyongyang est parvenu à ses fins et considère désormais avoir une capacité de dissuasion fiable.
La Corée du Nord a réussi son pari nucléaire (T 994)
North Korea has achieved its nuclear gamble
Kim Jong-un's recent statement announcing a moratorium on ICBM's nuclear tests and shots reflects the fact that Pyongyang has achieved its goal and now considers it to have a reliable deterrent capability.
L’annonce spectaculaire faite par Pyongyang de l’arrêt du développement de ses armes nucléaires et de la fin de tirs d’essais de missiles intercontinentaux (ICBM), à moins d’une semaine d’un premier Sommet intercoréen n’est pas l’aveu d’une faiblesse du régime mais bien l’affirmation de la politique suivie depuis les années 1960 par Kim Il-sung (1912-1994) et poursuivie avec efficacité par sa dynastie, visant à doter la Corée du Nord de capacités nucléaires à des fins militaires.
Après une année 2017 particulièrement tendue et un paroxysme des tensions avec Washington, Kim Jong-un a bien manœuvré en profitant à plein du calendrier diplomatique et sportif avec la trêve olympique qui lui a permis des gestes d’ouverture et donc d’imposer ses choix. Bénéficiant de la volonté du Président sud-coréen Moon Jae-in (dont le catholicisme le pousse au dialogue et à la paix) de réussir pleinement les JO d’hiver, Kim a saisi cette opportunité avec l’envoi d’une équipe de sportifs dont les résultats étaient moins importants que leur présence. De même, le fait de voir Kim Yo-jong, la sœur cadette du dirigeant, à la tête de la délégation constituait un message politique de premier ordre. Et très vite le dégel s’est accéléré – à la nord-coréenne – avec des échanges du Sud vers le Nord, notamment autour d’artistes pop sud-coréens. Pyongyang ouvre les portes mais avec une précaution extrême.
Le voyage de Kim Jong-un à Pékin en utilisant le célèbre train blindé rappelant des images anciennes a permis aussi de lever quelques blocages avec les Chinois, qui, s’ils sont le premier partenaire économique de la Corée du Nord, n’ont pas la mainmise sur les choix du régime.
Il ne faut pas oublier que l’idéologie nord-coréenne a toujours été très nationaliste, même si l’aide de la Chine de Mao a été essentielle durant la guerre de Corée (1950-1953). La dynastie Kim s’est toujours efforcée de mettre en valeur le splendide isolement du pays comme étant le gage de sa survie face au danger « yankee ». Concernant le nucléaire, c’est bien l’URSS qui a été le premier partenaire en fournissant un premier réacteur nucléaire de recherche à partir de 1965 et a poursuivi à aider les scientifiques et les techniciens nord-coréens à acquérir les compétences nécessaires.
En effet, cela fait désormais plus d’un demi-siècle que le régime travaille sur cette question avec deux axes qui ont été d’une part la maîtrise de la Bombe et d’autre part le développement de moyens de lancement, dont les missiles balistiques sont au final les plus simples à avoir, par rapport aux SNLE trop complexes.
À cette époque, la Rand Corporation estimait qu’à l’horizon 1970, une trentaine de pays pourraient être au seuil nucléaire. Heureusement, suite aux différents traités dont le TNP signé en 1968, la lutte contre la prolifération a été relativement efficace y compris de manière équivoque comme ce fut le cas avec l’Irak de Saddam Hussein. Si l’Afrique du Sud a démantelé son programme avec la fin de l’Apartheid, d’autres pays ont abandonné leurs projets espérant une réintégration dans la communauté internationale comme la Libye de Kadhafi, dont au final, cela ne lui a guère réussi.
À ce jour, hormis les membres historiques du club nucléaire – les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU – l’Inde et le Pakistan ont démontré leurs capacités avec des essais réussis en 1998. Israël constitue un cas particulier en l’absence de test officiel et prouvé mais dispose de l’arme nucléaire et des vecteurs dérivés du missile Jéricho développé en son temps avec l’appui de la société Dassault.
L’Iran constitue l’autre grand enjeu actuel, sachant qu’avec l’accord de 2015 – remis en cause par l’Administration Trump – Téhéran reste au seuil mais dispose de toutes les ressources nécessaires pour parvenir à ses fins. Ce n’est qu’une question de temps sauf si des frappes détruisaient les installations nucléaires, tout en sachant que certaines sont souterraines pour être protégées. C’est ce qui s’est passé en Syrie avec un programme clandestin bénéficiant de l’aide de techniciens nord-coréens. Israël a d’ailleurs reconnu le 21 mars dernier la destruction le 6 septembre 2007 d’un réacteur à eau lourde destiné à produire du plutonium sur un site près de la ville de Deir ez-Zor. Tel Aviv avait déjà procédé de la même façon le 7 juin 1981 en détruisant le réacteur de recherche Osirak que la France avait vendu à l’Irak de Saddam Hussein.
Ces exemples démontrent aussi la difficulté pour certains États d’aller jusqu’au bout de leur programme. La Corée a réussi d’autant plus qu’il s’agissait d’un projet fédérateur pour toute la population, grâce à la doctrine du Juche (1) combinant le communisme et l’indépendance nationale avec la Bombe dont la sacralisation est effective auprès de l’opinion publique nord-coréenne.
De ce fait, Kim Jong-un a poursuivi avec une efficacité redoutable la finalisation de la dissuasion nucléaire coréenne en accélérant les deux approches : les vecteurs et la charge utile. La relecture du calendrier le démontre. La multiplication des essais de missiles balistiques a culminé avec la dernière génération Hwasong-15 dont la portée théorique serait de 13 000 km. Le dernier tir a culminé à 960 km d’altitude. Désormais Pyongyang dispose d’une gamme complète de missiles balistiques de moyenne et longue portée mobiles sur véhicules porteurs. Concernant la bombe elle-même, six essais ont été effectués depuis 2006 avec une puissance croissante, le dernier tir du 3 septembre 2017 ayant été évalué à 120 kT (Hiroshima, 15 kT). Dès lors, Kim Jong-un peut se prévaloir de maîtriser l’arme nucléaire dans une approche doctrinale non pas offensive – malgré une rhétorique très guerrière d’emploi – mais bien défensive. C’est bien la réalisation d’une dissuasion stratégique acquise au bout d’un demi-siècle d’efforts conséquents – au détriment du développement économique – mais qui garantit désormais la pérennité du régime.
Les réactions à cette annonce le prouvent d’ailleurs et vont permettre à Kim Jong-un d’aborder les prochaines semaines avec une aura nouvelle et la certitude d’avoir réussi. Seul Tokyo exprime à juste titre son inquiétude puisque Pyongyang n’a pas parlé de dénucléarisation mais juste d’arrêt des essais. Le démantèlement d’un site d’essais à Punggye-ri ne constitue pas la fin des capacités de tests, d’autres sites nucléaires restant en activité. De plus, si le régime dit renoncer aux tirs de missiles ICBM, il restera toujours la possibilité de vérifier régulièrement les performances des fusées de la famille Unha – dont la communauté technique est importante avec les ICBM du type Hwasong – avec des lancements de satellites, l’accès à l’espace à des fins « pacifiques » étant libre.
En rencontrant son homologue sud-coréen sur le site emblématique de Panmunjom (2), Kim Jong-un peut ouvrir une nouvelle page en considérant que son régime n’est plus en position de faiblesse d’autant plus que la situation économique de son pays s’est améliorée. Les dramatiques scènes de la famine de 1995 sont désormais anciennes et un début d’amélioration des conditions de vie de la population a pu être constaté par tous les visiteurs. De la même façon, l’historique Sommet à venir avec Donald Trump ne pourra que renforcer sa légitimité et le soutien inconditionnel de sa population. En effet, il n’y a que Kim Jong-un qui peut aux yeux de son peuple saluer demain l’« ennemi historique ». La signature d’un traité de paix se substituant à l’armistice de 1953 renforcerait encore plus la continuité dynastique des Kim. Cela n’a été possible que par un demi-siècle consacré à avoir la Bombe. ♦
(1) Il faut lire les deux excellents livres de Juliette Morillot et Dorian Malovic, Le monde selon Kim Jong-un, Éditions Robert Laffont et La Corée du Nord en cent questions, Éditions Tallandier.
(2) Ce sera le troisième Sommet de ce niveau après ceux de 2000 et 2007.