En effectuant un chantage au Sommet de Singapour, Pyongyang cherche à modifier les équilibres fragiles et à obliger Washington et Séoul à reconnaître sa nucléarisation. La rhétorique employée est conforme aux habitudes diplomatiques du régime de Kim Jong-un.
Pyongyang, chantage nucléaire et négociations diplomatiques (T 1004)
Pyongyang, nuclear blackmail and diplomatic negotiations
By blackmailing the Singapore Summit, Pyongyang is seeking to change the delicate balances and force Washington and Seoul to recognize its nuclearization. The rhetoric employed is consistent with the diplomatic habits of the Kim Jong-un regime.
Renouant avec une longue tradition de volte-face dont elle est coutumière, à quelques semaines de l’éch éance finale d’un processus destinée à sortir de la crise par le haut et de manière négociée, Pyongyang a annulé sa rencontre avec Séoul, programmée le 16 mai 2018, et menacé d’en faire autant avec le Sommet très attendu avec Donald Trump, le 12 juin 2018, si les Américains ne révisent pas leurs objectifs de dénucléarisation.
L’annulation du Sommet avec la Corée du Sud et l’ultimatum à Washington procèdent d’une tactique manœuvrière visant à reformuler les termes des négociations avant le Sommet de juin. C’est une manière d’exercer une pression sur les autres parties afin qu’elles assouplissent leurs positions et les rapprochent de celles de Pyongyang. Les termes des négociations définis autour de l’objectif de dénucléarisation complète, vérifiable et irréversible (DCVI) ne conviennent pas à Pyongyang : la Corée du Nord tente donc un passage en force pour les modifier. Il s’agit pour Pyongyang d’augmenter sa marge de négociation dans les discussions en pleins préparatifs du sommet avec le président américain et prévu d’ici quelques semaines.
L’ultimatum n’est pas seulement une offensive diplomatique, c’est une tentative d’intimidation. L’annulation du sommet avec Séoul est supposée offrir un avant-goût de ce qui pourrait advenir du sommet américano-nord-coréen, si les parties concernées n’infléchissaient pas leurs positions d’ici cette échéance. Pyongyang peut bluffer si elle n’a pas l’intention d’annuler le sommet ; elle peut tout aussi bien être sincère et prévoir d’exécuter ses menaces.
L’ambivalence des positions de Pyongyang depuis le début de la crise se loge dans un discours habile qu’elle vient de trahir par une déclaration dont l’effet présente l’avantage d’être cathartique. L’ultimatum nord-coréen et le chantage nucléaire qui en découle percent les intentions profondes du régime derrière une position coopérative de façade. Là où ses positions étaient ambivalentes, elles ne le sont plus.
Désormais, l’objectif de Pyongyang dans ces négociations ne fait plus de mystère, il s’agit d’obtenir le statut nucléaire et de s’imposer comme une puissance régionale nucléaire légitime. Derrière une posture ouverte, il y a un objectif devenu clair pour le plus grand nombre qui trahit des objectifs moins louables. Il s’agit pour Pyongyang, de déplacer les négociations de la dénucléarisation sur le terrain de l’Arms Control.
L’intérêt de Pyongyang à reformuler les négociations en faveur de l’Arms Control est de pouvoir augmenter sa marge de manœuvre et sa capacité de levier. Si elle parvient à reformuler les termes des négociations, elle redéfinit le point d’équilibre à trouver entre les parties à son avantage et crée l’espace pour imposer son programme nucléaire, ce que l’approche internationale actuelle, autour de la DCVI ne permet pas.
Il n’y a pas de consensus entre Washington et Pyongyang sur le concept de dénucléarisation. Il s’agit là d’une défaillance que Pyongyang tente d’exploiter pour infléchir la position des autres parties. Le défi de ces négociations est justement de faire converger deux approches antagonistes et de trouver un point d’équilibre dans un cadre contraint par l’objectif de dénucléarisation, complet, vérifiable, irréversible.
En lançant un ultimatum, Pyongyang a placé les chancelleries devant un dilemme. Accéder à la demande de Pyongyang et redéfinir les termes des négociations reviennent à céder au chantage nucléaire de la capitale nord-coréenne, mais paradoxalement aussi à optimiser les chances de succès du prochain sommet. À l’inverse, maintenir le cap de la dénucléarisation éloigne les chances de consensus, mais nie à Pyongyang le recours au chantage.
L’ultimatum nord-coréen est une provocation à l’endroit de Washington, c’est un camouflet pour Séoul. Difficile en effet de placer le président sud-coréen qui a fait de l’accord de paix, l’œuvre d’une vie, dans une position plus inconfortable. À la manœuvre depuis le début de l’ouverture, Moon Jae-in s’est vu placé devant un autre dilemme qui n’est qu’une variante par rapport à celui auxquelles les autres parties font face. Soit il tente d’intercéder en faveur de Pyongyang auprès de la Maison-Blanche, ce qui dans le contexte politique actuel à Washington est vain, soit il rejette la provocation de Pyongyang comme telle, au risque de voir cette dernière annuler le sommet.
L’ultimatum nord-coréen place Washington et Séoul face aux limites d’une stratégie d’ouverture définie bon gré mal gré, au carrefour de deux approches contradictoires amalgamées pour donner une chance au processus. Washington est sur une ligne exigeante, alors que Séoul est conciliant. Il révèle aussi une naïveté générale dans ce processus d’ouverture, face aux rapports de force exercés dans un environnement stratégique complexe. Il était naïf, en effet, de la part de Séoul, de croire en une adhésion nord-coréenne à l’objectif de dénucléarisation complète, vérifiable et irréversible. Il était également naïf de croire que si Pyongyang refuse de plier, les Américains s’adapteraient à une approche conciliante. La nouvelle équipe sécuritaire à Washington n’a pas été constituée pour céder au chantage nucléaire nord-coréen. Il serait tout aussi naïf de croire à présent, en une inflexion stratégique de cette nature à Washington, en faveur de Pyongyang.
Les menaces proférées il y a quelques mois de cela par la Corée du Nord, dans le contexte de la pression diplomatico-militaire, se sont déplacées dans la sphère diplomatique. La surenchère dans la provocation avait fait peser le risque d’escalade, à présent que les rapports de forces se sont déplacés dans la sphère diplomatique, elle pratique un autre chantage, diplomatique celui-ci. Pyongyang cherche à infléchir les positions occidentales, mais elle produit l’effet inverse. Son attitude est de nature à conforter l’idée que la DCVI n’est pas un luxe, mais répond à une exigence sécuritaire. ♦