La marine de guerre du IIe Reich en s’engageant dans la guerre sous-marine à outrance ne parvint pas à faire basculer le rapport de force qui restait en faveur des Alliés. Les choix stratégiques faits par Berlin furent contre-productifs dans tous les domaines sans jamais parvenir à obtenir de réels succès et contribuèrent au final à affaiblir la situation militaire et politique de l’Allemagne.
1914-1918 : la guerre sur mer (III) (T 1034)
1914-1918: the war on sea (III)
The Second Reich's navy engaged in the underwater war was unable to sway the balance of power that remained in favor of the Allies. The strategic choices made by Berlin were counterproductive in all areas without ever achieving real success and ultimately contributed to weakening Germany's military and political situation.
Note préliminaire : Cet article en 3 parties (publiées fin août-début septembre) se concentre sur l’aspect maritime de la Première Guerre mondiale. En février 1940, la RDN avait publié un article sur « Quatre mois de guerre navale, 4 août-8 décembre 1914 ».
La guerre sous-marine sans restrictions
Si les résultats de la bataille du Jutland ont provoqué dans les milieux politiques et au sein du Haut Commandement allemands un grand enthousiasme, celui-ci n’est pas de longue durée.
Dès la fin août, l’amiral von Holtzendorff(ci-contre), chef de l’Amirauté, s’adresse au maréchal von Hindenburg peu après son arrivée au Commandement suprême pour lui signaler que la Grand Fleet anglaise ne sort plus de ses bases et que l’on n’aura plus l’occasion de lui livrer bataille ; de ce fait, il est absolument nécessaire d’agir le plus tôt possible contre le trafic maritime anglais. Les militaires se prononcent pour le renforcement de la guerre navale par le recours à la guerre sous-marine sans restriction. Le Chancelier, lui, est d’un avis opposé, en arguant le mécontentement certain des Neutres et l’hostilité des États-Unis pouvant aller jusqu’à leur entrée en guerre. Guillaume II suit l’avis de son Chancelier.
Holtzendorff renouvelle son avertissement à la fin de décembre 1916 après le rejet de l’offre de paix allemande, en demandant formellement que la guerre sous-marine sans restriction soit déclenchée au plus tard le 1er février 1917 afin d’amener la paix avant le 1er août de la même année. Hindenburg, poussé par Ludendorff, appuie cette suggestion de toute son autorité auprès du Chancelier. Les hautes autorités militaires ne perdent pas de vue, en l’occurrence, qu’une telle ligne de conduite pourrait amener les États-Unis à entrer en guerre contre l’Allemagne, mais ils estiment qu’ils auront le temps de remporter la victoire avant que les États-Unis ne soient en état d’agir efficacement sur le théâtre européen. Le Haut Commandement naval donne l’assurance que, si guerre sous-marine est déclenchée, l’Angleterre sera contrainte de s’incliner avant six mois, si bien qu’elle ne sera plus en situation d’assurer les transports militaires entre les États-Unis et la France. Si les hésitations sont grandes au sein du Gouvernement quant à la décision à prendre, les avis sont aussi très partagés au Parlement et dans l’opinion. En effet, des voix discordantes s’élevent pour souligner le fait que les chantiers navals britanniques, de loin les plus puissants au monde, disposent de la capacité de reconstituer la flotte de commerce au fur et à mesure de ses pertes. Cependant, lorsque, après le feu vert donné par l’Empereur, le Gouvernement annonce que la guerre sous-marine sera déclenchée le 1er février, un sentiment de satisfaction, se manifeste dans tout le pays.
D’après la note remise à Washington le 31 janvier, les conditions d’application de la guerre sous-marine sont des plus dures : les côtes de France et de Grande-Bretagne sont déclarées en situation de blocus ; les Neutres ne pouvant y circuler qu’à leurs risques et périls. Les bâtiments américains doivent suivre un itinéraire déterminé en portant des marques distinctives très apparentes et sans contenir de contrebande de guerre. Le président Wilson, estimant que l’Allemagne a violé les promesses faites en 1916, annonce au Congrès que « Le Gouvernement des États-Unis n’avait plus d’alternative compatible avec la dignité et l’honneur que de remettre à l’ambassadeur d’Allemagne ses passeports. »
Les débuts de la guerre sous-marine sont brillants et les chiffres de tonnages coulés mensuellement vont croissant : 485 000 tonnes en février et 500 000 en mars. Mais en 1916, la moyenne mensuelle ne dépasse pas 200 000 tonnes. La volonté de tenir jusqu’à la victoire s’accroît dans tous les milieux.
Sur ces entrefaites, les bâtiments américains ayant été autorisés à s’armer pour leur défense, un certain nombre d’entre eux furent coulés avec leurs équipages. Le président Wilson estima que l’Allemagne avait consommé l’acte d’hostilité dont il avait prévenu antérieurement le Sénat et convoqua le Congrès en session extraordinaire. Le 2 avril, il lut le message annonçant que les États-Unis étaient désormais en état de guerre avec l’Allemagne, résolution largement approuvée par les deux chambres *.
Cette déclaration de guerre des États-Unis, le 2 avril 1917 jeta une ombre sur cette unanimité. Certes, cette entrée en guerre n’apporta pas de grands changements immédiats dans le rapport de forces global entre l’Entente et les Puissances centrales, mais on s’aperçut bien vite que la montée en puissance des États-Unis, tant au niveau militaire qu’industriel, n’allait pas tarder à se faire sentir.
La mutinerie et la fin de la Flotte de mer
En octobre 1918, voulant jouer le tout pour le tout, l’amiral Scheer, commandant de la Flotte de haute mer de la Kaiserliche Marine, se résout à provoquer la Grande flotte et à lancer une attaque contre elle. Il s’agit d’une décision insensée dont il sait qu’elle ne recueillera jamais l’accord du Gouvernement, engagé dans les premières négociations d’armistice avec le président Wilson. Aussi, Scheer (ci-contre) n’informa de sa décision, ni l’Empereur, ni le Chancelier Max de Bade, ni Hindenburg. Mais, lorsque le 29 octobre, il fit diffuser l’ordre d’appareillage, de nombreux équipages refusèrent d’obéir et désertèrent, ce qui lui fit abandonner son intention initiale. Passée à la postérité sous le nom de « Mutinerie de Kiel », ce refus d’obéissance collectif des équipages de la Hochseeflotte, est le point de départ de la révolution allemande qui fit tomber le régime impérial.
Les clauses de l’armistice du 11 novembre 1918 comprenaient une clause déshonorante pour la Marine allemande, la reddition de la Flotte de haute mer et son internement dans la base britannique de Scapa Flow, clause exigée par l’Amirauté et imposée par Londres aux négociateurs de l’armistice (c’est la raison pour laquelle, le négociateur britannique à Rethondes était un amiral). Cette reddition de la Flotte de haute mer donna lieu à une mise en scène navale qui humilia encore plus les marins allemands : la « Grande flotte » au complet attendait la flotte allemande au large de Wilhelmshaven, et ce sont soixante cuirassés britanniques qui escortèrent onze cuirassés cinq croiseurs de bataille, huit croiseurs et quarante-cinq destroyers jusqu’à leur lieu de captivité.
La veille de la signature du Traité de paix de Versailles, le 21 juin 1919, le vice-amiral von Reuter donna l’ordre de sabordage pour éviter que les bâtiments ne tombassent aux mains des Britanniques. Toute la Flotte sombra.
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D’un avis général, la mise sur pied de la Flotte de haute mer par la volonté de l’Empereur et réalisée à partir de 1907 par l’amiral von Tirpitz, fut considérée comme une erreur stratégique majeure. De toute évidence, la flotte allemande ne serait jamais parvenue à égaler et encore moins surclasser la flotte britannique. Tout au plus, cette volonté allemande pouvait-elle répondre à l’esprit de grandeur de l’Allemagne exprimée par l’Empereur, mais avec un risque politique majeur : au lieu de faire pression sur Londres pour se rapprocher de Berlin, cette décision lancerait une course aux armements effrénée, ce qui s’est passé, et pousserait l’Angleterre à se rapprocher de la France et de la Russie, ce qui a également eu lieu.
La pensée marxiste-léniniste voit dans cette décision une des causes du déclenchement de la Première Guerre mondiale. ♦