Durant des siècles, les relations entre les États étaient marquées par la réalité de l’ennemi. Avec un ennemi, un État, quelque soit sa forme, pouvait construire une partie de sa légitimité. Ainsi, l’Allemagne fut de 1870 à 1945 l’ennemi héréditaire de la France. Plus récemment, le Levant regorge d’ennemis se dévorant entre aux. Mais est-il possible aujourd’hui de définir un ennemi quasi universel ? A-t-on besoin de se construire un ennemi pour exister ?
Faut-il un ennemi mondial pour réaliser l’unité du monde ? (T 1068)
Must there be a global enemy to achieve world unity?
For centuries, relations between nations were markes by the reality of an enemy. With an enemy, a state, no matter its form, can build some of its legitimacy. Thus, Germany was France's hereditary enemy was from 1870 to 1945. More recently, the Levant is overflowing with enemies devouring each other. But is it possible to define a quasi-universal enemy today? Do we need to build ourselves an enemy to exist?
Réaliser l’unité politique du monde, destin ou péril de l’humanité ? Dans ce débat où s’opposent les partisans de cette nécessité jugée inéluctable aux pourfendeurs de l’établissement d’un gouvernement mondial, le choix d’une vision polémologique permettrait, semble-t-il, de dégager une issue. Dans une vision politique, l’unité mondiale s’obtient par la recherche d’États amis avec lesquels on partage des principes, des valeurs, des normes. La perspective polémologique repose sur l’exact inverse. On obtient l’unité par la recherche d’un ennemi commun contre lequel on se ligue. Cette perspective suppose l’idée que l’ordre interne, et a fortiori international, est polémologique avant d’être politique. La guerre préexiste donc à la paix et la conditionne : nous désignons l’ennemi avant de nous identifier nous-mêmes.
Mieux, c’est l’ennemi qui permet de nous distinguer et donc de nous identifier (cf. Carl Schmitt, Raymond Aron, Jean Baechler ou encore Howard Bloom). Cette distinction ami-ennemi chère à Carl Schmitt renforce la cohésion à l’intérieur du groupe, en évitant la guerre civile, mais aussi à l’extérieur du groupe, en lui permettant de se liguer contre un État ennemi dans un système international anarchique. L’ennemi est donc fédérateur pour l’unité, qu’elle soit nationale, ethnique, religieuse ou autre. Il est un ciment de cette unité parfois plus que les valeurs, que l’histoire, en bref que le commun du groupe. En d’autres mots l’ennemi commun fédère, rassemble contre lui, aussi bien qu’il permet de s’identifier et d’exister face à lui.
Dans cette perspective, l’unité du monde ne s’obtient pas par le partage de valeurs, la domination du droit sur la guerre, de la norme sur la violence, de l’interdépendance sur la souveraineté mais par l’existence d’un ennemi commun ou d’une menace commune, susceptibles de fédérer la totalité des structures politiques mondiales. Davantage que par un ensemble de normes et de valeurs partagées, l’unité politique de l’humanité pourrait-elle advenir s’il existait un ennemi ou une menace commune au monde entier ? La question est désormais de savoir si un tel ennemi existe et, si oui, s’il emporterait la souveraineté des États vers une souveraineté mondiale.
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