La hausse du trafic des ports de commerce français en 2018 (+ 1,9 %) ne doit pas masquer la relative faiblesse de notre politique de développement de nos ports qui ont encore de grandes lacunes structurelles face aux mastodontes de la mer du Nord. C’est aussi un indicateur de la désindustrialisation de la France et donc un élément de comparaison utile pour l’économie nationale.
Le bilan des ports de commerce français en 2018 (T 1081)
Assessment of French Commerce Ports in 2018
The rise in traffic of commercial ports in France in 2018 (1.9%) should not hide the relative weakness of our development policy for our ports, which still have major structural weaknesses in the face of mastodons in the North Sea. It is also an indicator of the deindustrialization of France and therefore a useful comparator for the national economy.
L’hebdomadaire Le Marin vient de publier son hors-série annuel sur les ports de commerce. C’est un outil particulièrement pertinent qui contient beaucoup d’informations dépassant le simple cadre du monde maritime. C’est une forme d’état des lieux de la mondialisation économique et de la position de la France dans ce grand échiquier des échanges internationaux.
Quelques chiffres sont intéressants à connaître (à comparer avec les chiffres 2017 de la carte) : ainsi, en France, 372 millions de tonnes ont transité dans nos ports en 2018 (+ 1,9 %). Le premier port national reste Marseille avec 81 MT (et 1,4 million de conteneurs équivalent vingt pieds ou EVP), suivi du Havre avec 72 MT (2,85 M EVP), viennent ensuite Dunkerque avec 51,6 MT (0,422 M EVP) et Calais dont le trafic est transmanche et atteint 46 MT. À ce groupe des grands ports maritimes, il faut ajouter : Nantes–Saint-Nazaire avec 32 MT (0,195 M EVP) et Rouen avec 22,9 MT qui reste un grand port d’exportation de céréales.
Commissariat général au développement durable : L’activité des ports maritimes français repart en 2017, décembre 2018, p. 6
Ces 6 ports représentent donc un total de 294 MT et 4,865 M EVP. Nos ports outre-mer totalisent 18,3 MT. Il reste ainsi un trafic d’environ 60 MT se répartissant dans 22 ports métropolitains, dont certains comme Tréguier (0,065 MT) se contentent de niches très fragiles autour d’un ou deux produits.
De fait, nos ports ne jouent pas vraiment dans la cour des grands. Il suffit de regarder ce qui se passe hors de nos frontières, en particulier au nord de l’Escaut, fleuve que peu connaissent mais qui prend sa source en France au Nord de Saint-Quentin (Aisne). À l’embouchure de ce fleuve de 355 km, se trouve le port d’Anvers avec 235 MT (11,3 M EVP), proche de l’embouchure du Rhin et du géant néerlandais, Rotterdam, dont le trafic est supérieur à tout le trafic français en atteignant 469 MT (14,5 M EVP). Leur taux de croissance pour 2018 est également impressionnant avec + 5 % pour Anvers et + 2 % pour Rotterdam.
On peut y rajouter les deux ports allemands de Bremerhaven – 74 MT (5,5 M EVP) – et Hambourg – 135 MT (8,8 M EVP). Ils traduisent le poids de l’industrie allemande et le rôle de l’exportation dans son dynamisme, alors même que le pays n’a pas réellement une culture maritime hormis au Nord (héritage de la Ligue hanséatique).
En Méditerranée, là aussi, on constate un dynamisme important des ports espagnols : Algésiras (baie de Gibraltar) avec 107 MT (4,7 M EVP), Valence avec 75 MT (5,1 M EVP) et Barcelone avec 66 MT (6,4 M EVP). Les taux de croissance pour 2018 sont respectivement de + 6 %, + 3 % et + 8 %. À comparer aux 3 ports du littoral catalan français et languedocien : Port-Vendres (0,25 MT), Port-la-Nouvelle (1,75 MT) et Sète avec 4,11 MT.
Les raisons de la faiblesse de nos ports sont nombreuses et largement identifiées : coût important de la main-d’œuvre, fiabilité longtemps faible en raison de grèves nombreuses, faiblesse des dessertes et corridors vers les hinterlands, sans oublier la désindustrialisation qu’a connue le territoire depuis plusieurs décennies. À cela se rajoute l’absence de coopération voire des rivalités qui ont longtemps
freiné des projets communs, contrairement à nos voisins du Nord dont la complémentarité et la connectivité ont accru leur efficacité.
Le positionnement de nos ports militaires ne constitue plus depuis longtemps un obstacle au développement de la partie dédiée au commerce. Cependant, force est de constater que la diminution de l’empreinte des parties dévolues à la Marine et aux arsenaux (désormais Naval Group) n’a pas entraîné automatiquement une hausse du trafic civil. Ainsi, à Cherbourg, la zone Est est dédiée depuis longtemps au trafic transmanche avec des surfaces très vastes et vides. Celui-ci représente 1,52 MT, les conventionnels atteignant le chiffre ridicule de 2 500 tonnes. Le trafic de fret ferroviaire, quant à lui, n’existe plus, la route assurant la totalité.
Pour Brest et Lorient, les activités militaires et civiles sont séparées géographiquement. Brest a connu une embellie avec 2,8 MT (704 escales contre 636 en 2017) après 6 années de baisse continue. Les espaces de développement sont suffisamment vastes et le potentiel réel, sauf que l’hinterland brestois reste réduit. À Lorient, là encore, le trafic a augmenté avec 2,45 MT. Il n’en demeure pas moins que ces ports à double fonction restent très modestes pour la part commerciale. À Toulon, l’essentiel du trafic civil est assuré par les ferries avec 2,9 MT (- 2 %).
Le trafic maritime mondial est un indicateur très précis tant des grands équilibres économiques que des évolutions géopolitiques, indiquant une bascule inéluctable vers l’Asie, avec des chiffres sans équivalent dans le monde. Il suffit de citer le port chinois de Guangzhou (630 MT et 21,8 M EVP) ou celui de Singapour (630 MT et 36,6 M EVP). Nos ports français apparaissent désormais très loin dans les classements mondiaux, reflétant l’état de notre compétitivité industrielle et de la faiblesse bien connue de nos exportations. Ce déséquilibre en devient stratégique, d’autant plus que le projet chinois de nouvelles routes de la Soie monte en puissance et parvient d’ailleurs à diviser l’Union européenne. La privatisation du port grec du Pirée et les accords signés cette semaine par le président Xi Jinping à Rome démontrent cette prise de contrôle de capacités européennes clés. À cela s’ajoutent les incertitudes liées au Brexit qui auront un impact immédiat sur nos ports de la Manche.
Dès lors, il est indispensable de bien comprendre qu’un effort doit être fait vers notre économie maritime et donc nos ports qui contribuent directement à notre souveraineté économique et de ce fait à notre liberté d’action. ♦