L’année 2019 a confirmé un monde sans boussole, où la multipolarité n’est pas facteur de stabilité. Bien au contraire, avec le retour de la puissance et du rapport de force. D’où l’intérêt des différents décryptages.
Parmi les livres – Un monde sans boussole ? (2/10) (T 1132)
The year 2019 confirmed a world without a compass, where multipolarity is not a factor of stability. Quite the contrary, with the return of power and the balance of power. Hence the interest of the different decryptions.
Fin du leadership américain ?
« Jusqu’où ira Trump ? », s’interroge Pascal Boniface dans L’Année stratégique 2020. Il rappelle que le Président américain aura été l’homme de l’année pour la troisième fois ; car, quoi qu’on en dise, c’est lui qui modèle l’agenda des autres leaders mondiaux. Plus encore, estime le directeur de l’Institut des relations internationales (Iris), il est en train de gagner son pari dans sa tentative de rompre avec la politique d’hégémonie libérale, poursuivie par tous ses prédécesseurs, depuis la fin de la guerre froide. Certes, le 45e Président américain ne semble pas avoir renoncé à l’option militaire, mais on voit chaque jour que celle-ci s’éloigne, que ce soit à propos du Venezuela (1) ou de l’Iran, alors qu’il se contente de sauvegarder un contingent militaire minimal en Afghanistan et en Syrie près des puits de pétrole. Le vieil adage qui s’applique à l’Afghanistan, « Facile à envahir, difficile à gouverner et dangereux à quitter », reste donc toujours valide. Donald Trump augmente par ailleurs les dépenses militaires de 600 à 720 milliards de dollars, mais on a l’impression qu’il veut surtout montrer sa force pour ne pas avoir à l’employer, appliquant ainsi, sans en avoir lu une seule ligne, le principe majeur du premier stratège chinois Sun Tzu : « Vaincre l’ennemi sans combattre. » En fait, plutôt que d’employer l’arme militaire – dont on voit les limites dans les conflits asymétriques – il use et abuse de l’arme économique moins coûteuse, moins dangereuse et plus efficace, s’appuyant sur la menace des sanctions, l’attractivité du marché états-unien et l’application de plus en plus intense d’une législation américaine au caractère extraterritorial. Cependant, cette arme, dont l’application doit être longue et soutenue, a-t-elle provoqué les effets escomptés ?
D’autres articles de Ramses 2020 s’étendent sur cette question, faisant observer que la politique extérieure américaine se réduit à la « pression maximale » qui se traduit le plus souvent par trois types de mesures : l’imposition de tarifs douaniers, la mise en place de sanctions et, éventuellement, la menace d’emploi de la force militaire. Plus de 70 États, observe Denis Bauchard, dans son étude serrée, sont visés par des sanctions américaines. Ces sanctions sont d’autant plus lourdes que le droit américain a une portée extraterritoriale. Pascal Boniface estime que si Donald Trump accomplissait, ne serait-ce qu’un seul de ses quatre objectifs (Iran, Venezuela, Cuba, Corée du Nord), il pourrait revenir triomphalement devant les électeurs en 2020. Thierry de Montbrial dans ses « Perspectives » estime que l’approche transactionnelle de Trump, celle du faiseur de deals, lui a permis de remporter deux succès. D’abord en aboutissant à une refonte de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena), ensuite en obtenant du Mexique qu’il se charge directement, et à ses propres frais, d’empêcher les candidats latino-américains à l’émigration d’atteindre la frontière mexico-américaine. Pour cela, rien de plus efficace que de les bloquer à l’entrée au Mexique. S’agit-il de vraies victoires ou de gains faciles ? On trouvera dans L’état du monde une analyse détaillée de cette négociation sur l’Alena qui a duré treize mois, au cours desquels le Canada et le Mexique ont essuyé sans broncher bien des humiliations. L’accord se nomme désormais USMCA (United States-Mexico-Canada Agreement) aux États-Unis, ACEUM (Canada–États-Unis–Mexique) au Canada et T-MEC (Tratado México-Estados Unidos y Canadá) au Mexique ; aucune entente n’ayant pu se faire sur le nom, c’est dire… Les États-Unis étaient en position de force, puisque 75 % des exportations mexicaines et canadiennes sont destinées à leur puissant voisin, alors que 35 % des exportations américaines se dirigent vers le Canada et le Mexique réunis. Cet accord n’interdira pas d’imposer au Canada et au Mexique de nouveaux tarifs sous prétexte de sécurité nationale. Il n’encadre pas les marchés publics ; le message fort envoyé aux investisseurs est qu’il est dans leur intérêt de relocaliser leurs investissements aux États-Unis.
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