Après plusieurs échecs, l’Iran a réussi la mise en orbite de son premier satellite militaire. Ce tir intervient dans un contexte de crispations dans la région, malgré la pandémie du Covid-19 et montre que Téhéran poursuit ses programmes avec détermination et que les Gardiens de la révolution, en charge de ce lancement, jouent un rôle de premier plan dans cette théocratie.
Iran : lancement réussi d’un satellite militaire (T 1167)
Fusée Qased sur son pas de tir (Iran)
After several failures, Iran successfully launched its first military satellite into orbit. This launch comes in a context of tensions in the region, despite the Covid-19 pandemic and shows that Tehran is pursuing its programs with determination and that the Revolutionary Guards, in charge of this launch, play a leading role in this theocracy.
Dans un contexte géopolitique plus que compliqué, Téhéran a procédé avec succès à la mise en orbite d’un satellite militaire le 22 avril 2020. Ce tir ne risque pas de faire baisser les tensions dans la région. Après la montée des périls suite à l’élimination par les États-Unis du général Solaimani, chef des Gardiens de la révolution (Pasdarans), le 3 janvier 2020 lors d’un déplacement à Bagdad, la destruction « par erreur » quelques jours après d’un Boeing 737 ukrainien (176 morts) alors qu’il décollait de la capitale iranienne, avait en quelque sorte « calmé le jeu » et refroidi les ardeurs bellicistes du régime. Quelques semaines après, la pandémie du Covid-19 frappait le pays avec des conséquences dramatiques (officiellement 91 472 cas détectés et 5 806 victimes selon les chiffres du lundi 27 avril), dont l’issue reste encore imprévisible. Certains médias faisaient d’ailleurs état de manifestations et de contestations contre l’incapacité du régime à soigner les malades .
Face aux difficultés intérieures, le 15 avril, le régime a relancé récemment sa campagne anti-américaine avec le harcèlement par onze vedettes rapides de navires de l’US Navy qui a divulgué des vidéos, entraînant évidemment une réaction verbale violente de Donald Trump donnant l’ordre de détruire les patrouilleurs iraniens en cas de nouvelles confrontations (tweet du 22 avril ).
En réussissant ce lancement le 22 avril, Téhéran met fin à une longue série noire d’échecs de lanceurs spatiaux militaires depuis juillet 2017. Pourtant, dès 2009, un premier satellite à vocation civile avait été mis en orbite par le lanceur Safir. Trois autres succès ont suivi en 2011, 2012 et 2015 avec ce type de fusée, dérivé du missile balistique Shahab, lui-même issu du Nodong fourni par la Corée du Nord et dont la portée initiale est de 800 km. Le Safir aurait une charge utile entre 30 et 50 kg pour une hauteur de 22,5 m et un poids au lancement de 26 tonnes.
Un lanceur plus puissant, le Simorgh, a été développé. D’une hauteur de 26 m et d’une masse au décollage de 85 tonnes, le Simorgh n’a connu que des échecs, notamment le 9 février 2020 alors qu’il devait placer un satellite d’observation de la Terre.
La fusée utilisée le 22 avril par les Gardiens de la révolution s’appelle Qased, le « messager », et mesurerait 18 m. Elle comporte 3 étages, le premier étant à propulsion liquide selon les experts ayant examiné les vidéos mises en ligne, les deux autres étages étant à propulsion solide. La charge utile serait un satellite entre 50 et 100 kg qui a été placé sur une orbite basse à 270 miles d’altitude. Ce serait vraisemblablement un satellite d’observation avec une précision décamétrique au mieux. Ce satellite a été dénommé Nour, c’est-à-dire « lumière ». Le tir a été effectué à partir d’un véhicule de lancement mobile sur la base d’essais de missiles de Sharoud dans le nord du pays, non loin de la mer Caspienne, démontrant bien le caractère dual du programme spatial iranien où l’objectif premier est le développement de missiles balistiques à longue portée susceptibles de frapper non seulement les pays voisins dont l’Arabie saoudite et Israël, mais aussi l’Europe.
Ce tir réussi démontre les progrès de Téhéran dans les technologies des lanceurs et a donc suscité des inquiétudes vives exprimées par de nombreuses capitales dont Paris avec le communiqué suivant :
« L’Iran a revendiqué avoir procédé à la mise en orbite d’un satellite militaire. La France condamne fermement ce lancement qui n’est pas conforme à la résolution 2231 du Conseil de sécurité des Nations unies.
Du fait de la grande proximité des technologies employées pour les lancements spatiaux et les tirs balistiques, ce tir participe directement aux progrès déjà très préoccupants de l’Iran dans son programme de missiles balistiques. Le rôle dans ce lancement des forces aérospatiales du corps des gardiens de la révolution islamique, entité sanctionnée par l’Union européenne, témoigne du lien étroit entre ces deux programmes.
Le programme balistique iranien est une source de préoccupation majeure pour la sécurité régionale et internationale. Il contribue à la déstabilisation de la région et à la montée des tensions.
Nous appelons l’Iran à cesser immédiatement toute activité liée au développement de missiles balistiques conçus pour être capables d’emporter des armes nucléaires, y compris des lanceurs spatiaux, et à respecter ses obligations au titre de l’ensemble des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations unies » (22 avril 2020).
À ce tir, il faut rajouter les récentes déclarations – plutôt incantatoires – du chef de la marine iranienne Habibollah Sayyari annonçant la construction à venir de sous-marins nucléaires . Projet dont on peut douter dans la mesure où, jusqu’à présent, l’Iran a construit principalement des sous-marins de poche d’un déplacement de 115 tonnes avant de se lancer dans la réalisation d’un premier sous-marin du type Fateh de 600 tonnes, lancé en 2013 et admis au service actif en 2019 . Un deuxième serait en essais.
Il n’en demeure pas moins que ce lancement à usage clairement militaire ne va pas faire décroître les crispations régionales et montre l’importance des Gardiens de la révolution au sein du régime avec un durcissement militaire évident et donc inquiétant. ♦
(1) Knipp Kersten, « How the coronavirus has altered Iranians’ view of faith », Deutsche Welle, 23 avril 2020 (www.dw.com/en/how-the-coronavirus-has-altered-iranians-view-of-faith/a-53215872).
(2) Lagneau Laurent, « Le président Trump ordonne de détruire toute vedette iranienne harcelant des navires américains », Zone militaire-Opex360.com, 22 avril 2002 (www.opex360.com/).
(3) « Iran plans to build submarines equipped with nuclear propulsion systems », Navy Recognition, 18 avril 2020 (http://navyrecognition.com/).
(4) Lagneau Laurent, « La marine iranienne met un nouveau type de sous-marin en service », Zone militaire-Opex360.com, 18 février 2019 (www.opex360.com/).