Comprendre l’identité de la Russie, unique et multiple à la fois, permet de mieux saisir la perception qu’elle se fait de son environnement stratégique et la manière par laquelle elle souhaite exister sur la scène internationale. La nature eurasiatique de Moscou la fait osciller entre deux continents mais aussi deux systèmes de pensée, tandis que les nouveaux enjeux mondiaux la poussent de surcroît à placer ses pions dans des régions plus lointaines. Au regard du tournant stratégique engagé il y a quelques années déjà, visible à travers des événements aussi marquants que la Crimée ou le Donbass, nous pouvons mieux distinguer l’origine et la nature des ambitions russes aujourd’hui.
La Russie contemporaine : un objet réaliste des relations internationales ? (T 1193)
Russie, vue digitale de la Terre avec un réseau international représentant la communication, les voyages et les connexions. © harvepino, Adobe stock
Understanding the identity of Russia, unique and multiple at the same time, makes it possible to better understand the perception that it has of its strategic environment and the way in which it wishes to exist on the international scene. The Eurasian nature of Moscow makes it oscillate between two continents but also two systems of thought, while the new world challenges push it in addition to place its pawns in more distant regions. In view of the strategic shift initiated a few years ago, visible through events as significant as the Crimea or the Donbass, we can better distinguish the origin and nature of Russian ambitions today.
« Il n'y a pas d'objectivité, seulement des approximations de la vérité, par autant de voix différentes que possible » (1) Margarita Symonian
En 2010, la Russie a réalisé son tournant stratégique tant attendu depuis 1989. Celui-ci a été rendu possible par la maturation de son système idéologique, alliée à une réforme profonde de son outil militaire. Cette lente maturation ne peut se réduire uniquement à la simple résultante d'une lutte « imaginaire » pour la survie dans un nouvel ordre mondial et économique, où aspirer à retrouver le statut de superpuissance revêt du fantasme, mais doit se penser comme la transition d'une Russie post-soviétique adolescente (2000-2010) à l'âge adulte. En somme, il s'agit plus de l'expression d'un pragmatisme basé sur les moyens, expression d'une vision réaliste des relations internationales, plutôt que la poursuite d'un idéal de puissance retrouvée.
Trois faits fondamentaux témoignent de cette nouvelle audace (2) : l'annexion de la Crimée en 2014, l'intervention militaire en Syrie en 2015, la politique d'influence et de soutien pour les candidats perçus comme le moins contraire à ses intérêts au cours des élections étrangères à partir de 2016. Lorsqu'il est question de surprise stratégique, sans tomber dans la contemplation et en dehors du travers de la surenchère de réactions, il est nécessaire – afin de mieux comprendre pour mieux anticiper – de saisir l'essence de la perception de la menace chez cet « autre » qui, contre toutes attentes, accepte de perdre des pièces pour remporter la partie. Cette compréhension fidèle de la perception de la « menace » pour chacun des « opposants » est peut-être la clé des prochaines années géopolitiques.
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