En juin 2021, s’est tenu le 6e scrutin législatif depuis le renversement du régime marxiste d’Haile Mariam Mengistu (1991), et dont les résultats ont conforté le pouvoir du Premier ministre, Abiy Ahmed, en fonction depuis avril 2018. Ce scrutin a eu lieu dans un climat politique insurrectionnel, puisqu’à l’automne 2020, les autorités de la région du Tigré se sont engagées dans un processus de sécession, entraînant une violente riposte armée du gouvernement fédéral. Le scrutin n’a pas pu se tenir dans une centaine des 547 circonscriptions que compte le pays, principalement au Tigré, où la situation reste confuse. L’évolution institutionnelle de l’Éthiopie et le risque réel de conflit civil lié à la partition de la province du Tigré a des répercussions sur les intérêts et la politique française en Afrique.
En Éthiopie, le spectre de la guerre civile : quels enjeux pour la France ? (T 1314)
Carte de l'Éthiopie (© Archives du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères - La Courneuve).
In June 2021, the 6th legislative election was held since the overthrow of the Marxist regime of Haile Mariam Mengistu (1991), the results of which consolidated the power of Prime Minister Abiy Ahmed, in office since April 2018. This election took place in an insurrectionary political climate, since in the fall of 2020, the authorities of the Tigray region embarked on a process of secession, leading to a violent armed response from the federal government. The ballot could not be held in a hundred of the country's 547 constituencies, mainly in Tigray, where the situation remains confused. The institutional evolution of Ethiopia and the real risk of civil conflict linked to the partition of the province of Tigray have repercussions on French interests and policy in Africa.
En juin 2021, s’est tenu le 6e scrutin législatif depuis le renversement du régime marxiste d’Haile Mariam Mengistu (1991), et dont les résultats ont conforté le pouvoir du Premier ministre, Abiy Ahmed, en fonction depuis avril 2018. Sa formation, le Parti de la Prospérité, obtient 410 des 436 sièges au Parlement, dans un scrutin certes entaché de fraudes, et émaillé de multiples actes de violences et d’appels au boycott de la part de mouvements politiques. Ces élections qui devaient initialement se tenir au printemps 2020, ont été reportées à deux reprises en raison de la pandémie de coronavirus, puis de difficultés logistiques et sécuritaires. Ce scrutin a eu lieu dans un climat politique insurrectionnel, puisqu’à l’automne 2020, les autorités de la région du Tigré se sont engagées dans un processus de sécession, entraînant une violente riposte armée du gouvernement fédéral. Le scrutin n’a pas pu se tenir dans une centaine des 547 circonscriptions que compte le pays, principalement au Tigré, où la situation reste confuse. L’évolution institutionnelle de l’Éthiopie et le risque réel de conflit civil lié à la partition de la province du Tigré (1) a des répercussions sur les intérêts et la politique française en Afrique.
La diplomatie africaine du président Macron s’inscrit dans celle de ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy et François Hollande, qui vise à élargir la sphère d’influence de la France en Afrique au-delà du « pré carré » francophone et particulièrement aux pays jugés prometteurs pour leur influence politique et leur taille économique, comme le Nigéria, l’Afrique du Sud, l’Angola ou encore l’Éthiopie (2). La France a entretenu des relations étroites et amicales avec l’Éthiopie impériale, contribuant notamment à la construction de la première ligne de chemin de fer du pays entre Addis-Abeba et Djibouti au début du XXe siècle. Puis lors de la guerre froide et jusqu’au renversement de la monarchie (1974), l’Éthiopie fut un allié des Occidentaux, envoyant un corps expéditionnaire combattre lors de la guerre de Corée. Sur de nombreux sujets, l’action diplomatique d’Haïlé Sélassié, empereur d’Éthiopie de 1941 à 1974, rejoignait celle de la France, notamment lors de sa médiation entre l’Algérie et le Maroc (1963) à propos de différends frontaliers. Aujourd’hui, les intérêts français en Éthiopie sont d’ordre tant économique, que politique et stratégique.
Sur le plan économique, l’Éthiopie apparaît comme un marché prometteur avec une population actuellement de 117 millions d’habitants selon les données des Nations unies, et qui devrait s’établir à plus de 205 millions en 2050 (ce qui classerait le pays au 8e rang mondial pour sa population). Au-delà de ces chiffres, le plus révélateur est la progression régulière du revenu per capita constaté depuis la fin de la dictature d’Haile Mengistu (1991) jusqu’à la crise politique et sanitaire de 2019. Si le revenu moyen par habitant (2 300 dollars internationaux, soit 60 % de celui en Côte d’Ivoire) reste faible, son augmentation est sensible, puisque selon les données du Fonds monétaire international (FMI), le PIB par habitant a triplé depuis 2006, et l’Éthiopie est l’un des pays d’Afrique ayant connu les plus forts taux de croissance ces dernières années. Le marché éthiopien offre un débouché potentiel pour les entreprises françaises, et qui sont encore modestement implantées comme TotalEnergies (qui possède 168 stations-service), Peugeot qui a ouvert une usine d’assemblage au Tigré, ou encore les groupes Castel et Soufflet (l’un des principaux producteurs mondiaux de malt). La France n’est qu’un investisseur de second plan dans ce pays, après la Chine, l’Arabie saoudite et la Turquie (3). La privatisation des entreprises éthiopiennes comme dans le domaine des télécommunications (Ethio Telecom) de l’agroalimentaire avec Ethiopian Sugar Corporation, du transport aérien (Ethiopian airlines) ou de l’énergie (avec Electric Power Corporation) intéresse les investisseurs français. La crise sanitaire a entraîné une dégradation de la situation économique, avec une détérioration de la balance des paiements, due notamment à l’arrêt de l’activité touristique (qui représente environ 6 % du PIB) et du ralentissement des investissements internationaux et alors même que le pays doit honorer le remboursement de plusieurs prêts consentis par la Chine. Signe de cette inquiétude, l’agence de notation Moody’s a dégradé la note souveraine de l’Éthiopie en mai dernier, la reléguant au rang d’obligation spéculative (Caa1). Mais pour la France, l’intérêt de l’Éthiopie ne se résume pas à des enjeux commerciaux.
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