L'auteur, ancien ambassadeur, revient sur l'histoire compliquée de l'éventuelle entrée de l'Ukraine dans l'Otan, au cœur des tensions Russie-Occident depuis la fin de la guerre froide.
L’entrée de l’Ukraine dans l’Otan, mission impossible ? Une histoire compliquée (T 1403)
Drapeaux de l'Otan et de la Russie (© Vitalii Vodolazskyi, Adobe Stock)
Vladimir Poutine, arrivé à Bucarest le 2 avril 2008 dans le cadre du Conseil de la coopération Otan-Russie au deuxième jour du Sommet de l’Otan, se tournant vers George W. Bush lui glissa à l’oreille : « George, comprenez-vous que l’Ukraine n’est même pas un État. Qu’est-ce que l’Ukraine ? Une partie de son territoire se situe en Europe centrale, mais la plus grande partie a été donnée par nous. » Selon certaines versions, Vladimir Poutine n’aurait pas dit alors « que l’Ukraine n’existe pas », mais il le pensait, car il l’a répété de nombreuses fois par la suite et l’a écrit dans son article fleuve du 12 juillet 2021. Il a agi en conséquence, et en 2014 au sujet de la Crimée, et en 2022 en envahissant l’Ukraine ! Cependant, dès avril 2008, ses propos qui, pour lui, n’étaient qu’une pure constatation, apparurent comme un avertissement et interprété comme une menace. A-t-on tenu compte de cette menace et l’avait-on vraiment prise au sérieux ? « En général, quand les Russes font des menaces, ils les exécutent », avait pourtant averti Toomas Ilves, président de l’Estonie (2006-2011) (1).
Dès lors une question nous interpelle. Elle est grave et devrait nous faire réfléchir sur nos relations avec la Russie. Sommes-nous vraiment incapables de comprendre ses motivations ou faisons-nous en sorte de délibérément les ignorer ? Surtout, doit-on s’interroger pourquoi le maître du Kremlin a attendu tant d’années pour exécuter la menace qu’il brandissait constamment, ayant tout récemment encore déclaré : « Nous avons été obligés d’agir afin de récupérer les territoires qui nous appartenaient ». Cette série d’énigmes, absolument stupéfiantes, demandera certainement des années à être résolue. Winston Churchill avait en son temps fourni un début de réponse, la Russie ne poursuit que son intérêt national : n’est-ce pas là le devoir de tout État dans ce monde largement hobbesien ? Bien entendu la question de l’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie n’a pas été le seul élément qui a motivé l’action de Vladimir Poutine, les 21 et 24 février, lui qui aurait tant aimé devenir un second Pierre le Grand.
La question de l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan, à côté du statut du Donbass et des garanties de sécurité réclamées par la Russie, qu’à ses yeux, les Occidentaux lui ont constamment refusé, a été l’une des causes – sinon la principale –, de l’invasion russe du 24 février 2022. Cinq jours avant, dans son discours prononcé à la 58e Conférence de Munich sur la sécurité, le président ukrainien Volodymyr Zelensky, la réclamait toujours en ces termes : « C’est aussi le cas de l’Otan. On nous dit : “la porte est ouverte”. Mais jusqu’à présent, elle l’est qu’à ceux qui sont autorisés à y entrer… Ouvrir les portes c’est bien, mais nous avons besoin de réponses ouvertes et non de questions qui restent ouvertes pendant des années… La Russie affirme que l’Ukraine cherche à rejoindre l’Alliance pour reprendre la Crimée par la force. C’est réconfortant de savoir que les mots “retour de la Crimée” font partie de leur rhétorique, mais ils n’ont pas lu avec attention l’article 5 de la Charte de l’Otan selon lequel l’action collective sert à la défense et non à l’attaque. La Crimée et la région occupée du Donbass retourneront certainement à l’Ukraine, mais seulement de manière pacifique. L’Ukraine applique les accords de Normandie et de Minsk avec cohérence. Ils sont le fondement de la reconnaissance de l’intégrité territoriale et de l’indépendance de l’État. Nous voulons une résolution diplomatique au conflit armé. Vous noterez : seulement sur la base du droit international (2). »
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