L’auteur a été fonctionnaire international de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) pendant 10 ans. Il déplore que l’Organisation soit paralysée par des sujets stériles et préconise de revenir aux fondamentaux de l’Acte final d’Helsinki de 1975 : les négociations autour des problématiques de sécurité. Actuellement seule organisation offrant un lieu d’échanges permanent entre Russie et Ukraine, elle pourra ainsi prendre sa place dans la résolution du conflit.
Mais à quoi sert donc l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) ? (T 1406)
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Au cœur du centre historique de Vienne, la capitale autrichienne, une organisation internationale a établi son Secrétariat depuis 2007 dans un palais rénové et discret : l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Alors que le récent (28-30 juin 2022) sommet de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (Otan) à Madrid a fait l’objet d’un écho considérable dans les médias, l’OSCE est largement méconnue du grand public. Elle mérite pourtant un certain intérêt car elle est actuellement la seule organisation qui offre un lieu d’échanges permanent entre la Russie et l’Ukraine.
Une volonté originelle audacieuse
Le document fondateur – la « bible » – de l’OSCE est l’Acte final d’Helsinki (1) signé par trente-cinq pays le 1er août 1975. Il crée la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) qui se réunit périodiquement durant deux décennies, puis devient l’OSCE en 1994. Il édicte la « Déclaration sur les principes guidant les relations entre les États participants ».
Au milieu de la guerre froide, les États signataires proposent d’apporter par les moyens de la CSCE « une contribution majeure au processus » permettant d’« assurer les conditions dans lesquelles leurs populations peuvent vivre une paix véritable et durable libre de toute menace ou atteinte à leur sécurité (2). »
Les trente-cinq États fondateurs sont, pour l’essentiel, les États-membres de l’Otan et du Pacte de Varsovie. Aujourd’hui, l’OSCE rassemble cinquante-sept États, de Vancouver à Vladivostok, selon l’expression consacrée. Depuis le départ, le mandat de la CSCE/OSCE a été, et reste, de contribuer à la stabilité et à la sécurité de l’espace euro-atlantique et eurasiatique. Ses décisions sont prises sur la base du consensus ; elles ont une portée politique et non juridique.
Jusqu’à l’aube du XXIe siècle, l’OSCE, avec des moyens limités, a généralement rempli sa mission malgré les conflits balkaniques et des situations politiques et ethniques difficiles en Europe de l’Est, dans le Caucase et en Asie centrale. Son soutien à un dialogue institutionnel a alors favorisé un meilleur environnement sécuritaire et certaines avancées démocratiques. Aujourd’hui, et à la lumière notamment des conflits récents dans le Sud-Caucase et de l’agression russe en Ukraine le 24 février 2022, de légitimes interrogations sur la pertinence et l’efficacité de cette organisation sont apparues.
Des divergences profondes
Afin de mettre en pratique les principes mentionnés plus haut, les États participants de l’OSCE ont ouvert un champ d’action très large selon le concept de sécurité générale. C’est ainsi qu’ils déclarent leur volonté de coopérer dans les domaines politico-militaire, économique et environnemental, et humain. Avec le temps, d’autres thèmes, plus sociétaux et diviseurs, sont venus s’ajouter ; par exemple, les questions de genre ou de violences domestiques introduites dans les discussions ont provoqué des clivages entre États ; pour importantes qu’elles peuvent être, elles ont peu à voir avec la sécurité des États.
Cette approche multidimensionnelle de la sécurité présente autant un avantage qu’une faiblesse pour l’OSCE ; chaque État peut instrumentaliser un de ces thèmes à son bénéfice ou au détriment d’un autre État. C’est l’élément constitutif des difficultés de l’OSCE, qui trouvent leur acmé aujourd’hui.
Dès l’origine de la CSCE, la question des droits de l’Homme fut un point de divergence entre les deux « blocs », Est et Ouest, les Occidentaux soutenant fortement cette question, alors que les pays de l’Est, menés par l’Union soviétique, tentaient de la circonscrire. Sitôt après la guerre froide, les Occidentaux poussent leur avantage, le nouvel équilibre géopolitique ayant basculé en leur faveur. Durant les années quatre-vingt-dix, les États nouvellement indépendants issus de l’URSS s’ouvrent aux droits humains. Toutefois, pays baltes exceptés, les avancées espérées restent minimes, voire de façade. Les antagonismes issus de la guerre froide sont toujours présents et continuent de structurer de manière sous-jacente les relations entre les deux ex-blocs.
Les pays de l’Ouest utilisent l’OSCE pour promouvoir leurs principes et leurs valeurs, mais les pays de l’Est contiennent leur attitude hégémonique sans refuser certaines aides. La communauté des États de l’OSCE devient ainsi bancale et perd la vision de son sens premier. Ultime paradoxe : alors que l’OSCE doit rassembler tous les États participants en vue d’une sécurité collective et indivisible, ceux-ci se divisent sur des questions secondaires par rapport à l’objectif.
L’oubli de l’intérêt général
L’OSCE se fourvoie sur des sujets dans l’air du temps mais peu propices à favoriser ou renforcer les relations entre ses États. En effet, selon l’Acte final d’Helsinki, la sécurité de l’espace couvert par l’OSCE repose avant tout sur les relations de confiance et de respect entre les États qui le composent. C’est par le consensus que les États de l’OSCE peuvent produire de la sécurité, mais c’est le dissenssus qui l’emporte. En oubliant sa mission fondatrice, l’OSCE s’est décrédibilisée et marginalisée pour nombre de ses États.
Le président de la République française a pu déclarer naguère que l’Otan était en état de mort cérébrale (3) ; c’est incontestablement le cas aujourd’hui pour l’OSCE après l’agression russe en Ukraine. L’Organisation est tétanisée et ne parvient pas à penser la sortie de crise. La plus récente décision prise par les États de l’OSCE est une non-décision conduisant à la fermeture de son ultime mission en Ukraine le 1er juillet 2022 (4).
Cette situation est d’autant plus dommageable que l’OSCE garde tous les atouts et moyens nécessaires pour remplir sa mission. Une prise de conscience par l’ensemble des États participants et les structures de l’OSCE est nécessaire pour inventer un nouveau futur sur la base d’un retour à l’esprit d’Helsinki. Pour y parvenir, les États « occidentaux » doivent restreindre la promotion de leurs normes, accepter les défauts de certains interlocuteurs et se concentrer sur des positions d’entente sans lesquelles il n’y a pas d’ordre collectif pour la sécurité au sein de l’espace de l’OSCE. Faire vivre une communauté de sécurité comme proposé par la Déclaration d’Astana (5) exige de s’interdire les sujets clivants, les anathèmes et les facilités déclaratoires.
La Russie et l’Ukraine, ainsi que les cinquante-cinq autres États, sont toujours assis autour de la même table à l’OSCE. Il n’y a plus de dialogue depuis le 24 février 2022 ; toutefois ce lieu unique de discussion existe et conserve ses potentialités. Quand une perspective de sortie de conflit se présentera, l’OSCE devra être en mesure de proposer un espace de négociations et un accompagnement institutionnel et technique ouvrant la voie à un retour vers un environnement régional sécurisé en ligne avec les valeurs de l’Acte final d’Helsinki. ♦
(1) Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, Acte final, Helsinki, 1975 (https://www.osce.org/files/f/documents/5/c/39502.pdf).
(2) « Préambule », Acte final d’Helsinki, op. cit., p. 2.
(3) Entretien du président Macron à The Economist, le 7 novembre 2019.
(4) OSCE, « OSCE Chairman-in-Office and Secretary General announce upcoming closure of Project Co-ordinator in Ukraine », 30 juin 2022 (https://www.osce.org/chairmanship/521779).
(5) Sommet d’Astana de l’OSCE, 3 décembre 2010 (https://www.osce.org/files/f/documents/b/3/74987.pdf).