Peu de livres sont parus sur la Russie depuis le 24 février 2022, début de l’invasion russe en Ukraine, mais on peut glaner quelques titres nous permettant de percer l’énigme russe. On y retrouve toujours les mêmes thèmes : instrumentalisation et réécriture de l’histoire, nationalisme et valeurs traditionnelles, réaffirmation de puissance. Tous ces ingrédients étaient en germe depuis longtemps, mais qui aurait pu prévoir qu’ils éclateraient de manière aussi vive, élargissant chaque jour le fossé entre la Russie et, comme elle le nomme, « l’Occident collectif », au point de le rendre irréversible.
La Russie à travers les livres (juillet-août 2022) (T 1416)
Peu de livres sont parus sur la Russie depuis le 24 février 2022, début de l’invasion russe en Ukraine, mais on peut glaner quelques titres nous permettant de percer l’énigme russe. On y retrouve toujours les mêmes thèmes : instrumentalisation et réécriture de l’histoire, nationalisme et valeurs traditionnelles, réaffirmation de puissance. Tous ces ingrédients étaient en germe depuis longtemps, mais qui aurait pu prévoir qu’ils éclateraient de manière aussi vive, élargissant chaque jour le fossé entre la Russie et, comme elle le nomme, « l’Occident collectif », au point de le rendre irréversible.
Le mage du Kremlin (1)
L’essayiste et conseiller politique italo-suisse Giuliano da Empoli a préféré emprunter la forme du roman pour retracer l’étrange parcours de Vladislav Sourkov, qu’il dénomme le mage du Kremlin, et que l’on a aussi appelé le Raspoutine de Poutine, tant il est vrai que la figure de cet étrange moine, doté de « pouvoirs surnaturels », plane toujours dans la psyché russe. Avoir travaillé successivement pour Mikhaïl Khodorkovski, que Vladimir Poutine a embastillé pendant dix ans, puis Boris Berezovsky, qui s’est targué d’avoir mis en selle Vladimir Poutine, et qui fut retrouvé « pendu » dans sa salle de bains à Londres en avril 2013, où il s’était exilé, avant de devenir le père Joseph du maître du Kremlin, a quelque chose d’inhabituel. La phrase d’Émile Girardin, créateur de la presse en France au début du XIXe siècle semble lui aller comme un gant : il a trahi tous les régimes, c’est bien la preuve qu’il les a bien servis. De manière subtile et fort bien informé, l’auteur nous fait pénétrer dans l’univers mental de Vladislav Sourkov. Il a su utiliser la rage du peuple contre les oligarques de la génération Eltsine, forger tout un appareil idéologique s’appuyant sur deux piliers « l’ordre à l’intérieur, la puissance à l’extérieur ». Surtout en dehors de la verticale du pouvoir et de la dictature de la loi, Sourkov a forgé le concept de « démocratie souveraine » qui est devenu le crédo principal du régime politique russe. Bien sûr, pour les besoins de la démonstration, Giuliano da Empoli force le trait et place dans la bouche de son héros maintes paroles cyniques, encore qu’elles apparaissent bien réelles. « Notre chef-d’œuvre a été la construction d’une nouvelle élite qui concentre le maximum de pouvoir et le maximum de richesse. » On trouvera des passages savoureux tout au long de ces pages. Ainsi, quand Vladimir Poutine constate que Staline est plus populaire que lui, ce n’est pas du tout en dépit des massacres qu’il a perpétrés comme le pensent la plupart des intellectuels occidentaux, mais à grâce à eux. Le Petit Père des peuples ayant habilement su dériver la colère du peuple. Et de conclure à l’emporte-pièce : « La Russie doit devenir un lieu où on peut défouler sa rage contre le monde et rester un fidèle serviteur du tsar. Les deux choses ne sont pas contradictoires, bien au contraire. »
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