L'Ambassadeur Bertrand Besancenot fait le point sur le « Davos du désert » qui s'est tenu à la fin du mois d'octobre. Insistant sur le succès de l'événement, l'auteur précise que ce sommet était également centré sur les relations d'affaires entre les États-Unis et les États du Golfe, au-delà des récentes frictions américano-saoudiennes.
Succès de la 6e session du « Davos du désert » (T 1443)
Public Investment Fund of Saudi Arabia, via Wikimedia Commons
Le forum sur l’investissement (« Future Investment Initiative » – FII) qui s’est tenu à Riyad du 25 au 27 octobre derniers a été un franc succès, avec environ 7 000 participants. Bien organisé par Richard Attias, il a néanmoins connu quelques difficultés d’accréditation étant donné le nombre des inscrits et, par ailleurs, certains ont relevé une présence limitée des familles d’affaires saoudiennes. En revanche, les hommes d’affaires américains et chinois étaient particulièrement nombreux cette année.
La délégation française était conséquente en nombre (une cinquantaine) et en qualité ; elle a aussi activement participé aux débats. Les autorités saoudiennes ont cependant regretté en privé l’absence du ministre de l’Économie Bruno Le Maire, retenu à Paris par le débat parlementaire sur le budget.
Le thème de cette 6e session du « Davos du désert » était très général : Investir dans l’humanité pour permettre un nouvel ordre international. L’accent a surtout été mis sur la crise énergétique et les tensions américano-saoudiennes.
Le ministre saoudien de l’Énergie, le prince Abdelaziz ben Salmane, a tenu à souligner que l’Arabie saoudite était « le plus fiable fournisseur de pétrole », en rappelant notamment qu’elle avait depuis septembre doublé ses exportations de brut vers l’Europe – qui atteignent 950 000 barils par jour. Même après la mise en œuvre de la dernière décision de réduction de l’OPEP+ (dans les faits, une diminution d’1 million de barils par jour) la production pétrolière de l’Arabie saoudite devrait être pour l’année 2022 de 10,7 millions de barils par jour, soit sa plus importante production de tous les temps.
Le ministre saoudien de l’Investissement, Khaled Al-Falih, a, pour sa part, relativisé les tensions entre Riyad et Washington, qualifiées de « malentendu » et de « prise de bec que les deux parties surmonteront, car elles demeurent des alliés solides ».
L’ambassadrice saoudienne aux États-Unis, la princesse Reema bint Bandar, a de son côté affirmé à la presse américaine que « nos relations sont plus que des ventes d’armes et des achats de pétrole ».
Les hommes d’affaires américains présents au forum ont sans surprise abondé dans le même sens : Jamie Dimon, CEO de JPMorgan Chase, a ainsi indiqué que les deux parties trouveraient une solution et que le vrai danger était ailleurs : dans la situation géopolitique du monde, en particulier du fait de la crise ukrainienne et des tensions sino-américaines.
L’objectif principal du FII est, on le sait, d’attirer des investisseurs internationaux dans le royaume pour contribuer au financement des grands projets de la « Vision 2030 ». On peut relever à ce titre que Rothschild a récemment ouvert un bureau à Riyad et que JPMorgan renforce son personnel (20 personnes) dans la capitale saoudienne.
Le fonds souverain Public Investment Fund (PIF) a fait savoir qu’il était en discussion avec Boeing et Airbus pour l’acquisition de 80 jets au profit de la future compagnie d’aviation Riyad International Airlines (RIA).
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Le prince héritier a par ailleurs annoncé que le PIF investirait 24 Mds $ dans la région, en particulier dans les pays suivants : Irak, Jordanie, Soudan, Bahreïn et Oman. Il créerait plus précisément dans chacun de ces pays des compagnies spécifiques qui financeraient certains secteurs stratégiques : infrastructures, développement immobilier, agriculture, communications et technologies. Au lieu d’une assistance financière à ces États, le but est dorénavant de soutenir des partenariats économiques dans le long terme, tout en diversifiant les sources de revenus du royaume. Le fonds souverain saoudien a initié en août dernier cette nouvelle politique en Égypte, où il a déjà investi 1,3 Md $ pour acquérir des participations minoritaires dans quatre compagnies technologiques. Il s’agit en fait d’une nouvelle approche pour développer le soft power du royaume dans la région.
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Cette 6e session du forum a connu une bonne couverture de la presse, notamment américaine, montrant qu’au-delà des frictions politiques entre Riyad et Washington, les relations d’affaires entre les deux pays demeuraient fortes.
Les autorités saoudiennes en ont profité pour marteler, en réponse aux critiques de Washington, que l’Arabie n’était alignée sur personne et qu’elle avait simplement pour politique de défendre au mieux ses intérêts propres. Riyad reste évidemment un partenaire stratégique des États-Unis, mais affirme de plus en plus ses ambitions, qui prennent naturellement en compte que 65 % des exportations de pétrole saoudien vont en Asie : Chine, Inde, Japon et Corée du Sud. La relation avec Washington est en fait devenue clairement « transactionnelle » et il faut s’attendre à ce que Riyad demande une politique américaine plus ferme que celle de l’administration Biden à l’égard de l’Iran et de ses proxies (en particulier au Yémen).
Par ailleurs, le PIF a profité de ce forum pour faire certaines annonces, reflétant son rôle moteur dans l’économie saoudienne. Il reste à savoir si, face aux tensions régionales et internationales, ses appels du pied seront suffisants pour convaincre les investisseurs internationaux de co-financer les grands projets de la « Vision 2030 ». ♦