Dans cette seconde partie, le général (2s) Hervé Rameau analyse la stratégie politique du Président turc Erdogan, tant sur le plan intérieur qu'extérieur, se plaçant entre un important rapport de forces et une politique d'opportunisme avec ses voisins, alors que l'élection présidentielle du 14 mai 2023 est plus que jamais décisive pour Recep Tayyip Erdogan et son parti, l'AKP, au pouvoir depuis 20 ans.
La Turquie d’Erdogan : une puissance qui s’affirme au-delà de son Président (2/2) – Recherche de leadership entre rapport de forces et opportunisme (T 1486)
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La stratégie générale de la Turquie est de développer son statut de puissance régionale économique, diplomatique, militaire et culturelle, incluant un rôle de défenseur des musulmans dans le monde, d’éradiquer le séparatisme kurde, de compenser l’absence de ressources énergétiques par un approvisionnement garanti. En outre, elle cherche à développer la croissance économique externe en misant prioritairement sur l’Afrique et les pays turciques.
Erdogan : le choix du rapport de forces et de l’opportunisme
La Turquie cherche à se rendre indispensable auprès des parties en conflit dans son espace d’influence, ce qui lui permet d’affirmer une position originale, non alignée, qui renforce son image de leadership. Cette posture accroît la liberté d’action de la Turquie, qui peut ainsi jouer sur plusieurs tableaux, et lui permet de se profiler en médiateur potentiel en escomptant des bénéfices. L’exemple le plus illustratif est celui du positionnement original entre la Russie et l’Otan, dont elle est membre. Elle est utile, voire indispensable à la Russie pour de multiples raisons. La Turquie dispose de la maîtrise des détroits du Bosphore, ce qui conditionne l’accès immédiat des navires russes aux mers chaudes. Elle est un réceptacle important pour l’exportation des céréales et hydrocarbures russes, dont elle assure un recyclage qui permet de contourner les sanctions – le pétrole d’origine russe raffiné en Turquie devient un produit turc, et n’est donc plus l’objet d’embargo. L’ambiguïté de l’engagement otanien de la Turquie offre à la Russie l’opportunité de tenter une fracturation du front opposé par l’Alliance atlantique. L’acquisition de missiles S400 en est un exemple tangible, de même que les réserves à l’égard de l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’Otan. Toutefois, la Russie est également indispensable à la Turquie pour satisfaire ses besoins énergétiques et pour sa stratégie anti-kurde en Syrie.
Dans le même temps, la Turquie reste un partenaire indispensable à l’Otan, dont elle assure la défense du flanc sud, d’autant qu’elle exerce un soutien de l’Ukraine et que sa médiation a permis l’établissement de l’accord sur l’exportation des céréales ukrainiennes via la mer Noire (1). Si tel n’était pas le cas, l’achat des S400, le veto mis à l’adhésion de la Suède et (antérieurement) la Finlande à l’Otan, ou encore les opérations militaires menées contre les forces kurdes en Syrie auraient très certainement été des motifs de marginalisation, sinon de rupture. Ils ne sont restés que des motifs de crise que les Occidentaux se sont bien gardés d’amplifier pour ne pas s’aliéner ce partenaire embarrassant, mais indispensable.
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