L'Afrique est un terrain d'affrontement et d'influence entre la Russie et l'Occident. Si l'on s'était longtemps penchés sur la présence chinoise sur le continent africain, celle de la Russie a, jusqu'aux années récentes, été négligée. Moscou, par diverses formes d'influence, a réussi a mettre en place une véritable présence sous couvert de missions humanitaires et solidaires, en décrédibilisant les acteurs traditionnels : gouvernements centrafricains, maliens, burkinabè, et les partenaires français, américains ou britanniques. Analyse de l'influence informationnelle russe en Afrique, remettant en cause les équilibres régionaux.
La Russie en Afrique : une stratégie informationnelle basée sur l’adversité (T 1488)
(© gguy / Adobe Stock)
Depuis l’arrivée des premiers « instructeurs russes » en République centrafricaine, il y a maintenant environ cinq ans, les inquiétudes européennes liées aux activités de la Russie sur le continent africain n’ont cessé de croître. D’abord sous-estimée par rapport à une Chine dont l’implantation au sein des économies locales paraissait bien plus solide et crédible, la Russie s’est rapidement imposée comme un acteur avec lequel il faut désormais compter dans cette région du monde.
Avec le déploiement de mercenaires de la société militaire privée (SMP) Wagner de l’homme d’affaires Evgueni Prigojine dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, l’influence russe s’est renforcée au moyen de ce que l’on peut appeler un « accompagnement informationnel », expression que l’on trouve dans plusieurs documents de la société Concord de Prigojine ayant fuité début 2023 et que l’on peut appliquer au dispositif d’influence russe en Afrique en général. Entre campagnes de communication, détournement des médias locaux et opérations de désinformation, cet « accompagnement informationnel » s’appuie sur un paysage complexe d’acteurs. Il se constitue par ailleurs de plusieurs volets, dans lesquels on reconnaît les fondements de la stratégie russe dans le domaine informationnel de façon générale : la désignation d’un ennemi commun, l’exploitation de clivages déjà existants et la présentation de la Russie comme un sauveur providentiel, uniquement motivé par sa « mission » de « garante de l’équilibre mondial ».
Les acteurs du dispositif informationnel russe : un paysage opaque
Avant de nous intéresser aux narratifs déployés par les acteurs russes en Afrique, il convient d’apporter quelques précisions sur leur nature. L’influence russe est en effet assurée par une variété d’entités différentes, que les chercheurs Marlène Laruelle et Kévin Limonier se sont efforcés de décrire dans une typologie différenciant acteurs « blancs », « gris » et « noirs » (1). Les premiers sont les acteurs dont les liens avec la Russie sont évidents et revendiqués ; les deuxièmes agissent de façon favorable aux intérêts russes, mais tendent à dissimuler leurs liens avec l’État ; quant aux troisièmes, il s’agit d’acteurs complètement clandestins qui sont donc, par définition, inconnus, et que l’on pourra classer en acteurs « blancs » ou « gris » une fois découverts.
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