Dernier volet du triptyque dédié au centenaire de la signature du Traité de Lausanne dans la RDN, le chercheur Tancrède Josseran analyse les enjeux contemporains du traité, remis en cause par la politique intérieure et extérieure d'Erdogan.
Lausanne selon Erdogan : une Turquie au rabais ? (T 1503)
(© murat / Adobe Stock)
Istanbul, 24 juillet 2020, l’atmosphère est fébrile sous les voûtes de Sainte-Sophie. Pour la première fois depuis 1934, la prière du vendredi va y être célébrée. Par ce geste symbolique, Recep Tayyip Erdogan tourne une page d’histoire. Quatre-vingt-six ans plus tôt, Mustapha Kemal Atatürk (1881-1938) transformait la basilique en musée. Le fondateur de la Turquie moderne souhaitait mettre un point final à l’universalisme ottoman. Religion civique du nouvel État, la laïcité excluait toute mystique internationale. Délivrée de son impérialisme religieux, la Turquie voulait agir à l’aune de ses seuls intérêts. Or, un siècle plus tard, ce n’est plus dans le cadre étroit de l’État-nation que la Turquie veut poursuivre sa destinée. En reconsacrant Sainte-Sophie, Erdogan reconnecte la Turquie à sa vocation planétaire, c’est-à-dire celle d’une puissance islamique qui s’assume.
La date choisie ne doit rien au hasard. C’est le 24 juillet 1923 que le traité de Lausanne a été signé. Dans l’esprit du Président turc, ce traité sanctionne la mort véritable de l’Empire ottoman. En rejetant l’héritage impérial pour se replier sur le quadrilatère anatolien, la Turquie serait passée sous la coupe d’un ordre international impérialiste tout en s’engageant dans une occidentalisation sans âme. Cent ans après, il s’agit donc de dénouer le corset d’un traité jugé dépassé. Signe fort, le jour même de la cérémonie, la marine turque débute une campagne de prospection gazière aux limites des eaux grecques. Avec ses 85 millions d’habitants, à la tête du sixième réseau diplomatique planétaire, forte de son statut de deuxième armée de l’Otan, Ankara a gagné en assurance.
Ce sens accru de ses intérêts, cette soif de reconnaissance alimentent une vive rancœur à l’égard d’accords signés en position de faiblesse. Aussi, la Turquie se sent frustrée d’être contenue en Méditerranée orientale. Elle juge que l’ordre régional n’évolue pas assez vite en sa faveur, que ses revendications ne sont pas assez prises en compte. Plus globalement, c’est tout l’ordre international édifié par l’Occident qui est battu en brèche.
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