Chronique du Moyen-Orient : l'ambassadeur Betrand Besancenot revient sur les derniers échanges entre Washington et Riyad, notamment dans le cadre des efforts diplomatiques pour la normalisation des relations entre Riyad et Tel Aviv. Si le but des États-Unis est d'essayer de maintenir une certaine stabilité dans la région, l'Arabie saoudite joue son propre jeu, tentant de s'échapper de la bienveillance de son allié américain.
Pourquoi l’Administration Biden fait-elle du charme au prince héritier saoudien ? (T 1518)
Joe Biden et le prince héritier Mohammed Ben Salmane à Djeddah en juillet 2022 (© Saudi Press Agency / Creative Commons)
La réaction très discrète de Washington aux allégations de l’Organisation non gouvernementale Human Rights Watch concernant les exactions commises contre des migrants éthiopiens par des garde-frontières saoudiens contraste avec sa condamnation virulente de l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi en octobre 2018.
En effet les circonstances sont désormais bien différentes. Après l’invasion russe de l’Ukraine et la flambée des prix des hydrocarbures qui s’est ensuivie, Riyad a retrouvé toute sa place dans le concert des nations, et même au-delà, avec sa nouvelle diplomatie d’apaisement des tensions.
Durant une tournée régionale en juillet 2022, le président Biden s’était ainsi rendu à Djeddah pour rencontrer le Dauphin saoudien – qu’il avait pourtant promis de traiter en paria – dans l’espoir de le convaincre en pleine inflation d’augmenter la production de pétrole de l’Opep+, en vain.
Les deux dirigeants pourraient cependant s’entretenir à nouveau, en septembre, en marge du sommet du G20 en Inde, alors que les coupes de production saoudiennes n’ont pas provoqué de hausse incontrôlée des prix. Car un autre sujet tient aussi à cœur du locataire de la Maison-Blanche : l’architecture sécuritaire de la région, consistant surtout à consolider le front anti-iranien avec son allié israélien. D’autant que Téhéran a développé ses activités nucléaires après le retrait unilatéral de Donald Trump de l’accord de Vienne en 2018, augmentant considérablement son stock d’uranium enrichi, atteignant aujourd’hui les 60 % et se rapprochant ainsi du seuil d’enrichissement nécessaire pour fabriquer l’arme nucléaire.
Face à l’échec des négociations pour retourner au deal de 2015, Washington a entamé avec Téhéran des pourparlers bilatéraux sur la question des prisonniers, pour lesquels un accord d’échange a récemment été trouvé, et qui aurait permis de ralentir le programme nucléaire iranien.
Parallèlement, la Maison-Blanche a accentué ses efforts diplomatiques en vue d’une normalisation entre Israël et l’Arabie saoudite (poids lourd du monde musulman) qui offrirait une caution symbolique forte à la reconnaissance de l’État hébreu. En vue de conclure un accord avant le printemps 2024, lorsque Biden concentrera ses efforts sur sa campagne présidentielle, la Maison-Blanche tente d’obtenir d’Israël des concessions sur le dossier palestinien. De quoi respecter l’ambition officielle du royaume saoudien de se poser en défenseur de cette cause auprès de sa population et des pays arabes. Une tâche difficile avec le gouvernement actuel de Benjamin Netanyahou, le plus à droite de l’histoire d’Israël, qui réunit notamment des ultraorthodoxes et des suprémacistes juifs. En effet, Ron Dermer, ministre d’État israélien aux Affaires stratégiques en charge, notamment, du dossier de la normalisation avec les pays arabes, n’aurait pas montré de signe d’ouverture en ce sens lors de son récent passage à Washington, précisant qu’Israël serait néanmoins prêt à concéder sur le programme nucléaire saoudien.
Car, pour une normalisation avec Israël, Riyad a posé ses conditions à Washington : faciliter les ventes d’armes au royaume, conclure un pacte sécuritaire, mais aussi obtenir une assistance pour développer son programme nucléaire. Malgré le risque de voir la région plonger dans une course à l’enrichissement d’uranium et au développement de l’arme nucléaire – bien que les autorités saoudiennes assurent officiellement n’avoir qu’un projet civil – les États-Unis semblent envisager cette possibilité.
D’autant plus que le royaume étudierait une proposition chinoise pour construire une centrale nucléaire en Arabie saoudite, une option plus abordable et qui ne serait pas conditionnée à un respect par Riyad de non-enrichissement et de non-exploitation de ses mines d’uranium (contrairement aux exigences de non-prolifération imposées par Washington).
Si l’offre est sur la table, les officiels saoudiens ont cependant indiqué qu’elles visaient plutôt à obtenir une flexibilité sur ces questions de la part des Américains, pour qui la coopération sécuritaire et technologique avec Pékin est une ligne rouge.
Les efforts diplomatiques de l’Administration Biden envers l’Arabie saoudite sont donc à suivre avec soin, car ils aboutiraient à changer profondément la donne au Moyen-Orient. Les obstacles à la réalisation des objectifs américains restent néanmoins nombreux et donnent à penser à beaucoup que cette politique est exagérément ambitieuse, car l’équation comporte trop d’incertitudes et que Riyad a appris à jouer avec ses cartes… ♦