De l’engagement aux frontières de l’Alliance atlantique aux émeutes urbaines, en passant par les Jeux olympiques (JO) et la fin programmée de l’opération Sentinelle, est-il raisonnable de reporter la création d’une « Garde nationale » ? Billet d'actualité d'André Yché.
La Garde nationale sur les Champs-Élysées en 2024 ? (T 1530)
(© PICRYL)
De l’engagement aux frontières de l’Alliance atlantique aux émeutes urbaines, en passant par les Jeux olympiques (JO) et la fin programmée de l’opération Sentinelle, est-il raisonnable de reporter la création d’une « Garde nationale » ?
Depuis qu’a été prise la décision de professionnaliser les armées en 1996, la question de la création d’une Garde nationale est sur la table : toujours repoussée par les grands ministères régaliens, Défense et Intérieur, désireux de conserver la haute main sur les forces dont ils disposent pour assumer leurs missions. Et pourtant, aux États-Unis où la garde nationale remplit de multiples tâches aussi bien sur le territoire national qu’en opérations extérieures (Opex), y compris dans la troisième dimension, tout en assurant un lien permanent et étroit avec la société civile en l’absence de tout système de conscription, nul ne songerait à renoncer à l’appoint modulable de cette « troisième force » polyvalente.
En France même, il est apparu nécessaire, depuis de longues années, d’engager les armées dans des missions de sécurité intérieure par l’opération Sentinelle qui a mobilisé jusqu’à 10 000 effectifs, par ailleurs fréquemment déployés en Opex, avec un double effet négatif : réduire les possibilités de remise en condition et d’entraînement au combat au niveau régimentaire, d’une part, et compliquer significativement la fidélisation des personnels peu enclins à consacrer de longues semaines à des tâches fastidieuses, dans des conditions d’hébergement et d’alimentation initialement fort sommaires, d’autre part. Or, à l’issue des JO 2024, ce dispositif devrait prendre fin.
C’est précisément le moment où les émeutes urbaines de juin 2023 ont démontré l’utilité, pour les forces de sécurité intérieure, de disposer d’une réserve générale permettant, si nécessaire, une action dans la durée. C’est aussi le moment où le renforcement du déploiement d’effectifs en Roumanie, dans les Pays baltes et, peut-être un jour, en Hongrie et en Pologne prendra une importance croissante dans le cadre de l’Otan.
L’encadrement d’un futur service militaire obligatoire, le renforcement des contrôles aux frontières, le fonctionnement des centres de « défense seconde chance » qui, pour de jeunes délinquants, pourraient devenir « défense dernière chance » ont tous les risques de provoquer de nouveaux prélèvements hors de portée des armées dans leur format actuel.
Dès lors, est-il envisageable, du point de vue des finances publiques, de procéder au profit des ministères en charge de la sécurité (intérieure et extérieure) à des recrutements supplémentaires pour satisfaire des besoins qui, en partie, ne revêtent qu’un caractère épisodique ?
Le simple principe d’économie des moyens militerait en faveur d’une troisième force mobilisable selon les circonstances, dotée d’un fort encadrement permanent et qui, placée sous l’autorité de Matignon via le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), constituerait une ressource susceptible d’être mise à la disposition des autorités d’emploi dans un spectre de mission élargi et procurant, par son recrutement en partie temporaire, le lien avec les territoires qui fait aujourd’hui défaut. Le modèle et le format de cette future « troisième force » sont aisés à ébaucher : un potentiel de 40 000 à 60 000 effectifs, dont 25 % de cadres permanents recrutés en milieu de carrière au sein des armées, de la gendarmerie, de la police et des douanes, les autres sous contrat activable en tant que de besoin, avec un minimum contractuel d’un à trois mois. C’est ainsi que durant l’entre-deux-guerres, l’armée allemande, limitée à 100 000 hommes par le Traité de Versailles, s’est patiemment reconstruite.
Les objections sont multiples et prévisibles : les coûts supplémentaires, l’insuffisante spécialisation, la dimension prétorienne prêtée à une telle institution… Tous ces arguments sont réversibles : les coûts d’un accroissement d’effectifs au titre des administrations régaliennes seraient plus élevés ou n’offriraient pas le même « effet de levier » si les effectifs se trouvaient répartis selon une logique de « tuyaux d’orgue », traditionnelle en France. Du fait de périodes de mobilisation plus brèves, le système actuel des réserves sectorisées n’offre certainement pas de meilleures possibilités de professionnalisation, bien au contraire.
Enfin, il convient de prendre en compte l’impact politique d’un tel dispositif, dans une société fortement préoccupée par les options de sécurité, au point que la reconstitution, sous des formes nouvelles, des fonctions de gardes champêtres ou de gardiens assermentés dans les grandes cités HLM a toutes les chances d’être, tôt ou tard, remise en débat. Peut-être serait-il préférable que ces diverses problématiques soient abordées de manière globale et cohérente avec le recul nécessaire et en dehors de toute situation d’urgence. ♦