Cette semaine, le rédacteur en chef de la RDN revient, dans son édito, sur l'importance, en 2023, de la bataille de l'opinion dans un contexte de tensions et de conflictualités de par le monde.
Éditorial – Temps long contre temps du tweet (T 1537)
(© Skorzewiak / AdobeStock)
Au XVIIIe siècle, les commandants d’escadre tels Duguay-Trouin ou le bailli de Suffren recevaient leurs ordres par courrier et envoyaient leurs comptes-rendus par l’intermédiaire de petits navires à voile tels les avisos ou les corvettes. Pour traverser l’Atlantique, il fallait au moins trois semaines par météo favorable et encore quelques jours pour que le courrier officiel transite de Brest à Versailles. C’est dire qu’une lettre reçue un mois après était reçue comme des « nouvelles fraîches ». Aujourd’hui, avec les progrès technologiques et les réseaux sociaux, l’instantanéité et l’émotion qui l’accompagne sont devenues la règle commune, mettant à bas le temps nécessaire de l’analyse, de la réflexion, de la planification puis de la réaction. C’est à celui qui tweetera le plus vite pour penser gagner la bataille de l’opinion.
Or, les conflits actuels – invasion de l’Ukraine par la Russie et la riposte d’Israël aux attaques terroristes du Hamas – se caractérisent notamment par leur ancrage dans une histoire longue, voire millénaire et il est donc indispensable de prendre en compte cette dimension séculaire pour ne pas tomber dans le piège de l’accélérateur médiatique.
Il faut, en effet, revenir bien en arrière pour essayer de discerner les méandres de l’histoire qui aboutissent à ces impasses stratégiques. Moscou ne parviendra pas à démembrer l’Ukraine tel qu’envisagé au petit matin du 24 février 2022, tandis que la boîte de Pandore ouverte par les pogroms du 7 octobre dernier n’est pas près d’être refermé. La haine – dans les deux cas – s’auto-alimentant et la raison étant engloutie dans la passion.
Doit-on, pour autant, baisser les bras et considérer qu’il faut laisser faire en pensant que la solution militaire sera la voie permettant de sortir de la crise ? Doit-on, au contraire, essayer d’éviter l’escalade en espérant trouver au plus vite une voie médiane de résolution ? Ce sont autant de questions posées aux acteurs que sont les diplomates, les militaires, les organisations non gouvernementales (ONG), les médias et les opinions publiques. Parmi les leçons tirées, on voit désormais que, contrairement aux espérances nées de la révolution Internet où l’on croyait en cet espace de connaissance et donc de liberté, plus que jamais, l’information est devenue un enjeu de puissance et donc de manipulation. Le terme de propagande, qui apparaissait obsolète comme mode d’action après la chute du mur de Berlin, est redevenu d’actualité avec la vérité à géométrie variable. Le mensonge que l’on croyait désormais illégitime est redevenu une pratique courante notamment dans les États qui récusent la démocratie comme forme de gouvernement. Plus c’est gros, plus ça passe. Plus la fake news est diffusée, plus elle devient vérité, dans l’ère de la « post-vérité ».
Cela montre la nécessité pour notre défense de prendre en compte cette dimension désormais essentielle. On peut gagner la bataille tactique et perdre la bataille des opinions, or, c’est celle-ci qui est devenue décisive aujourd’hui. Informer l’opinion publique, agir par anticipation, expliquer nos engagements, accepter le débat contradictoire, aller au contact de l’opinion : des défis désormais indispensables dans les conflits médiatiques que nous connaissons. ♦