Le 18 novembre, la France a effectué avec succès un tir d'essai du missile M51 dans sa version 51-3. Cela met en avant la stratégie de dissuasion française et renforce, plus que jamais, la raison d'être, dans un contexte international tendu, d'une telle stratégie. À l'heure des menaces existentielles, la défense de la France passe, plus que jamais, par sa dussuasion nucléaire.
Éditorial – Dissuader demain (T 1544)
Tir M51 le 18 novembre 2023 depuis DGA Essais de missile © DGA EM
Ce samedi 18 novembre a vu le premier tir d’essai du missile M51 dans sa version 51-3, traduisant concrètement la modernisation de la composante océanique de notre dissuasion. Depuis les installations de la direction générale de l’armement (DGA) à Biscarosse, le test revêtait une importance majeure, tant technique que géopolitique, et son succès vient conforter une filière stratégique dont l’ADN est étroitement lié à la conception politique que le général de Gaulle se faisait de la Ve République et de sa souveraineté.
La famille des missiles M51 correspond à la cinquième génération des engins balistiques embarqués à bord des sous-marins nucléaires lanceurs d’engin (SNLE), depuis Le Redoutable entré en service en 1971. Le programme a été lancé en 1992, concomitamment avec la deuxième génération des SNLE de la classe Triomphant. Le premier tir de M51 a eu lieu le 9 novembre 2006 depuis le Centre d’essais des Landes (CEL) et le missile a été déclaré opérationnel en septembre 2010.
Par rapport à son prédécesseur, le M45, il a une masse de 54 tonnes pour une longueur de 12 mètres contre 35 tonnes pour le précédent. Sa portée (classifiée) serait de l’ordre de 10 000 km et il porterait de 6 à 10 têtes nucléaires du type TNO.
Dans un contexte stratégique de plus en plus tendu, la volonté de certains États de jouer la carte nucléaire ne cesse de s’accroître. Bien sûr, on pense à la Corée du Nord dont l’économie est tournée quasi exclusivement pour la production d’armements et dont le premier essai nucléaire a été réalisé en 2006. Il y a également l’Iran, dont les ambitions sont claires avec une capacité dite du « seuil », avec suffisamment d’uranium enrichi pour produire plusieurs têtes nucléaires et un savoir-faire dans les missiles balistiques. Et, bien sûr, il ne faut pas oublier la Chine, qui a augmenté son stock de 25 % par rapport à 2022 avec désormais environ 500 charges nucléaires. Durant des années, Pékin se contentait d’en avoir 200. Désormais, le développement des forces nucléaires est une priorité majeure avec une estimation à 1 000 engins d’ici 2030.
Pour la France, la doctrine reste la juste suffisance. Celle-ci exige toutefois une fiabilité sans cesse accrue et une capacité à pénétrer les défenses adverses, d’où le besoin du M51-3 pour la Force océanique stratégique (FOST) et demain l’ASN 4G pour le Rafale F5 et plus tard le SCAF. Notre cible restera autour de 300 têtes. Le M51-3 équipera, dans un premier temps, le SNLE Vigilant (admis au service actif – ASA en 2004) après son IPER (arrêt technique majeur) décennal qui s’achèvera en 2025.
Ce 12e essai en 16 ans (un seul échec en 2013) conforte la pertinence de l’architecture du M51 qui, dès sa conception, prévoyait ces modernisations successives, au point que l’on parle déjà d’un M51-4 à l’horizon 2040.
Cet horizon verra la mise en œuvre de la troisième génération des SNLE. Quatre SNLE 3G vont remplacer l’actuelle classe des Triomphant. En décembre, la première tôle du premier SNLE 3G sera découpée à Cherbourg dans les installations de Naval Group qui ont déjà vu la construction de 110 sous-marins depuis Le Morse en 1999, le 110e étant le SNA Tourville qui sera livré à la Marine nationale en 2024. La cérémonie de découpe a bien valeur symbolique, mais le programme est déjà une réalité.
Les études ont été lancées dès 2011 et l’avant-projet détaillé a démarré en 2017. En février 2021, la DGA a lancé la notification de la phase de développement et de réalisation avec la commande des approvisionnements à long terme et les premières fabrications, notamment pour les réacteurs nucléaires.
Le programme des SNLE 3G représentera 100 millions d’heures de travail durant 30 ans. En effet, le premier SNLE 3G entrera en service en 2035 et les 3 autres arriveront en 2040, 2045 puis 2050. La durée de vie des bâtiments est annoncée pour 40 ans. Ce qui garantira la pérennité de notre dissuasion pour la seconde moitié du XXIe siècle. Ce qui, à l’heure du tweet, peut paraître incongru ! On peut, d’ores et déjà, considérer que le démantèlement de ces engins aura lieu au XXIIe siècle.
Ce temps long est bien celui de la dissuasion, dont la pertinence demeure plus que jamais d’actualité. C’est bien parce que les États-Unis, le Royaume-Uni et la France sont des puissances dotées que Moscou, malgré de nombreuses gesticulations verbales souvent outrancières, en particulier dans les médias russes, n’a pas osé jusqu’à présent franchir le pas avec son « opération spéciale militaire » contre l’Ukraine. Les rodomontades russes n’ont pas été suivies d’actions concrètes, car les mécanismes de la grammaire nucléaire ont fonctionné.
Le tir de samedi est non seulement une réussite technique, mais aussi une garantie de maintien de la crédibilité de notre défense pour les décennies à venir. Ces efforts restent d’autant plus indispensables que le temps est désormais aux prédateurs stratégiques. ♦