Des bruits de bottes se font-ils entendre dans le nord-est de l'Amérique latine ? Alors que cette région était particulièrement ignorée des préoccupations internationales de la société civile, particulièrement en Occident, les récents événements mondiaux ne doivent pas cacher les autres, dans des régions moins connues, qui remettent en cause, tout autant qu'en Europe ou qu'au Moyen-Orient, les équilibres internationaux. Tel est le cas des dernières déclarations de Nicolas Maduro, président du Venezuela, menaçant d'annexer une région disputée du pays frontalier du Guyana, l'Essequibo, riche en hydrocarbures.
Éditorial – Bruits de bottes en Amérique du Sud ? (T 1549)
Le référendum organisé ce dimanche 3 décembre par le Président du Venezuela, Nicolas Maduro, portait sur l’annexion de la région de l’Essequibo, à l’est du pays et appartenant au Guyana, ancienne colonie britannique et indépendante depuis 1966. Avec une participation inférieure à 50 % et contestée, le « Oui » à l’intégration aurait atteint 95 %, laissant désormais présager une période de tensions dans cette partie de l’Amérique latine.
Pendant des décennies l’Essequibo n’intéressait guère, mais la découverte, à partir de 2015, de ressources en hydrocarbures a relancé les polémiques. En effet, Caracas conteste les conditions d’attribution de cette région au Guyana et remonte au traité de Paris de 1899, confirmant ce découpage territorial, qui aurait privilégié les intérêts britanniques. Celui-ci, en effet, relève de l’histoire compliquée de la décolonisation espagnole, des indépendances mouvementées et de l’échec du projet de Grande Colombie porté par Simon Bolivar (1783-1830). Celui-ci rêvait d’une Confédération de l’Amérique latine et il reste dans la mémoire collective comme le Libertador.
Nicolas Maduro, le leader vénézuélien, au pouvoir depuis 2013, est confronté depuis des années à une situation politique et économique chaotique. Héritier d’Hugo Chavez, dont le Bolivarisme constituait son fondement idéologique, le Président actuel joue désormais sur un nationalisme exacerbé pour masquer son impuissance à développer l’économie d’un pays qui regorge de richesses, dont le pétrole, avec des réserves se situant dans les premiers rangs mondiaux. À l’inverse, le Guyana, peuplé de seulement 750 000 habitants, connaît désormais une croissance exponentielle. Par comparaison, le PIB par habitant est dix fois supérieur à celui des Vénézuéliens.
La revendication de Caracas, désormais entérinée par ce suffrage non reconnu internationalement, peut légitimement inquiéter. Déjà, le rapport des forces militaires est totalement défavorable, Georgetown (Guyana) ne disposant que de 4 600 soldats contre plus de 100 000 pour Caracas. Le régime de Maduro a d’ailleurs accru son effort de défense, bénéficiant d’armements russes et du soutien de Moscou, depuis l’époque de Chávez. Une occupation de l’Essequibo ne serait donc pas une tâche difficile, malgré l’épaisseur de la jungle amazonienne.
Toutefois, la menace semble davantage politique que militaire. D’autant plus que le grand voisin du Sud, le Brésil, veille au grain et vient de renforcer sa présence militaire le long de la frontière qu’il partage avec ces deux États. Il ne faut pas oublier non plus que Londres a toujours un œil sur son ancienne colonie et sur la stabilité régionale, le Guyana étant membre du Commonwealth. Et, bien sûr, les États-Unis regardent avec attention ce qui se passe au Venezuela, étant soucieux de la connexion avec Moscou.
Il n’en demeure pas moins que cette tentation annexionniste arrive dans un temps géopolitique troublé où les revendications territoriales redeviennent d’actualité. Maduro s’inscrit dans les pas de Vladimir Poutine voulant réécrire les frontières de l’Europe avec la guerre en Ukraine et les annexions de la Crimée et du Donbass. C’est aussi le cas de la Chine, annexant de facto des espaces maritimes en mer de Chine, ou encore en faisant figurer sur ses cartes des territoires sur le continent asiatique ne lui appartenant pas. Le rapport de force et le fait accompli brutalement sont désormais la règle.
La guerre de Gaza ne doit donc pas occulter tous les événements géopolitiques comme ce vote au Venezuela, dont il faudra suivre avec attention les suites. Propagande nationaliste à usage interne d’un régime politique aux abois, volonté réelle de s’approprier un véritable Eldorado, tentative de déstabilisation des règles du droit international en évoquant des contentieux oubliés dans les archives diplomatiques…
Autant de raisons de s’intéresser de près à cette partie du monde où la France est très présente avec la Guyane et les Antilles françaises. Une crise régionale engagée par Caracas y aurait des conséquences certaines.
SurinameCentral, CC BY-SA 4.0 , via Wikimedia Commons