Hostilités en mer Rouge : dans la nuit du samedi 9 au dimanche 10 décembre, la Frégate multi-missions (Fremm) Languedoc a abattu deux drones qui la visaient directement. Une attaque directe contre la Marine nationale pilotée par les rebelles Houtis au large du Yémen. Le général Pellistrandi analyse cet épisode, démontrant l'entrée dans un contexte où ces épisodes risquent de se reproduire de plus en plus.
Éditorial – Guerre High tech/Low cost en mer Rouge (T 1550)
Fremm Languedoc (© Marine nationale)
Samedi 9 décembre dans la soirée, la frégate multi-missions (Fremm) Languedoc, admise au service actif en 2017, navigue en mer Rouge après avoir fait une relève d’équipage aux Émirats arabes unis (EAU) le 1er décembre. Détectant deux drones hostiles se dirigeant vers elle, la Languedoc ouvre le feu et abat ces deux engins, très certainement tirés par les rebelles Houthis, soutenus par l’Iran et agissant en appui du Hamas, dans le cadre de la guerre dans la Bande de Gaza à la suite des massacres terroristes du 7 octobre.
C’est la première fois, depuis le 7 septembre 1987, lorsqu’une batterie Hawk du 403e Régiment d’artillerie (RA) de Chaumont (aujourd’hui dissout) avait abattu un Tupolev 22 menaçant N’Djamena, qu’une unité française – cette fois-ci de la Marine nationale – abat des aéronefs dangereux. La défense anti-aérienne a ainsi démontré son efficacité, avec un point commun dans ces deux épisodes pourtant éloignés dans le temps (36 ans) : la nécessité de détecter au plus vite, d’identifier et de traiter la menace dans des délais extrêmement rapides – de l’ordre de quelques minutes au plus. Pas question de réunir un comité de pilotage puis un groupe de travail pour évaluer une réponse possible. Et à chaque fois, l’acte du chef, en l’occurrence, samedi soir, le pacha de la Languedoc, qui a donné l’ordre d’ouverture du feu.
De nombreux enseignements seront tirés de cet engagement qui reflète, par ailleurs, à la fois la qualité des Fremm et de leur système d’armes, ainsi que la qualité et la compétence de l’équipage qui a basculé en quelques secondes dans une situation de guerre.
Il y aura, bien sûr, la réponse peut-être en coalition qui sera apportée à la menace grandissante dans la région et dans l’océan Indien, Téhéran exerçant clairement une pression sur la navigation commerciale en s’appuyant sur les rebelles Houthis qui disposent d’armements relativement sophistiqués et en quantités importantes, notamment des drones produits à un coût très bas : de l’ordre de 50 000 euros. Cela permet une saturation de l’espace d’opération, comme on l’a vu entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, et, bien évidemment, depuis le 24 février 2022 où la Russie s’efforce de noyer les défenses sol-air ukrainiennes sous des vagues de drones.
Utiliser un missile sophistiqué comme les Aster équipant nos Fremm coûtant plus d’un million d’euros et nécessitant trois ans pour être produit, contre un engin rudimentaire, guidé par GPS et porteur d’une charge de 40 kg, se justifie pleinement au regard de ce samedi, mais il faut être réaliste face aux évolutions de la guerre. En effet, ce type de situation va se reproduire de plus en plus, sans oublier désormais les drones navals capables d’endommager sérieusement des bâtiments du type corvette.
Cela signifie qu’il est désormais urgent de développer de nouvelles capacités moins coûteuses pour se protéger dans le bas du spectre. Certes, hors de question de renouveler l’échec de la Jeune École de la fin du XIXe siècle et qui affaiblit durablement notre Marine. Face à des marines sophistiquées comme en Indo-Pacifique, nos navires doivent être puissamment armés et dotés en missiles, mais il va falloir également les doter de nouveaux équipements moins onéreux à l’emploi et capables de traiter ces nouvelles menaces. Les canons du type RapidFire de 40 ou 30 mm, les canons de 20 mm télé-opérés, les brouilleurs multi spectraux ou les systèmes laser se justifient pleinement et devront équiper davantage de plateformes, y compris pour celles déployées Outre-mer. En effet, la dronisation accélérée peut également concerner les narcotrafics, la piraterie et bien sûr les groupes terroristes. Il faut même s’interroger sur l’équipement de certains navires commerciaux avec déjà des brouilleurs anti-drones. L’attaque, fin novembre, d’un porte-conteneurs de CMA-CGM dans l’océan Indien par une munition rôdeuse vraisemblablement d’origine iranienne est une illustration de cette menace grandissante. Celle-ci pourrait toucher nos navires câbliers indispensables à l’exploitation des câbles sous-marins assurant 90 % du trafic Internet ou encore la Canopée, le navire devant désormais assurer le transport des éléments de la fusée Ariane 6 vers Kourou et son site de lancement.
L’action de la Fremm Languedoc n’est donc pas un incident isolé mais bien la signification d’un durcissement croissant des tensions géopolitiques notamment dans la région du Moyen-Orient. La menace sur le trafic maritime ne concerne pas que les marins mais touche également notre propre vie quotidienne, ne serait-ce que par le biais du commerce international transitant par la mer Rouge. En attendant des décisions internationales pour garantir la liberté de navigation, ce type d’attaque illustre la pression croissante sur notre Marine. Avec une certitude, la qualité de nos équipages ! ♦