Le conflit au Moyen-Orient déborde en mer Rouge. Depuis plusieurs semaines, le rebelles Houtis du Yémen frappent des navires occidentaux. La Frégate multi-missions (Fremm) Languedoc a intercepté au moins à deux reprises des drones hostiles, et les marines occidentales interviennent dans la zone, alors que les navires commerciaux décident de se détourner du canal de Suez.
Éditorial – Tempête en mer Rouge (T 1555)
Destroyer USS Carney (© US Navy / Public domain)
Depuis le mois de novembre, les rebelles Houthis du Yémen ont commencé à attaquer des navires transitant par la mer Rouge, en soutien au Hamas palestinien. Drones et missiles fournis par l’Iran, capture de bateaux par héliportage ou par des vedettes rapides, autant de modes d’action menacent désormais la circulation maritime sur une des voies majeures du commerce international avec 12 % du trafic mondial passant dans cette région.
Jusqu’à présent, les navires attaqués avaient un lien avec Israël, pavillon, armateur, affréteur, escales… Or, depuis plusieurs jours, ces relations de nature commerciale et capitalistique ne sont guère évidentes et des frappes ont concerné tout type de navires, y compris des bâtiments de combat comme la Frégate multi-missions (Fremm) Languedoc (1), au point que les principaux armateurs mondiaux ont décidé de suspendre leurs activités dans la zone. Le Danois Maersk, première compagnie maritime mondiale, MSC, l’entreprise helvético-italienne, l’Allemand Hapag Lloyd et, enfin, le Français CMA-CGM ont préféré désormais emprunter le Cap de Bonne-Espérance plutôt que de prendre le risque de la route du détroit de Bab-el-Manded, ne serait-ce que pour éviter des pertes humaines pour leurs équipages, malheureusement envisageables avec la recrudescence des attaques houthis.
Ce sont des décisions lourdes de conséquences économiques et géopolitiques. Sur le plan économique, les assurances et de ce fait les taux de fret vont augmenter, tandis que l’Égypte va voir ses revenus générés par le Canal de Suez diminuer. Depuis le 19 novembre, 55 navires ont été déroutés, entraînant un vrai manque à gagner si la crise dure (environ 700 000 $ pour un porte-conteneurs). Ce dimanche, encore 77 bateaux ont transité, toutefois les flux risquent de diminuer rapidement. CMA-CGM a entre 80 et 90 navires simultanément sur cette voie maritime. Le choix désormais assumé de passer par la route vers l’Atlantique va rallonger les temps de transit avec entre une semaine et 10 jours supplémentaires, ce qui permet de protéger de facto les équipages face à la menace houthis.
Sur le plan géopolitique, la mer Rouge devient un nouveau théâtre d’opérations pour les marines occidentales, notamment. Des destroyers américains, des frégates britanniques et françaises patrouillent, elles ont ouvert le feu à plusieurs reprises abattant drones et missiles tirés depuis le territoire yéménite. Les engins utilisés ont été fournis par l’Iran, acteur de la déstabilisation régionale et pourvoyeur de ces armements plus sophistiqués que les roquettes tirées par le Hamas. De fait, l’interopérabilité entre ces trois marines est un facteur clé pour agir contre cette menace croissante.
Cependant, et après des interceptions ponctuelles et d’opportunité, la question se pose d’une opération concertée, impliquant les États concernés. Les organisations maritimes internationales demandent maintenant une réponse appropriée pour contrer ces attaques. Les États-Unis sont en discussions avec différents partenaires, y compris la Chine, qui dispose d’une base navale à Djibouti et dont une très grande partie de son commerce international est directement concernée par cette crise. Les missions d’escorte et de surveillance ont déjà été organisées dans la région avec des modes d’action répertoriés et efficaces. Ce fut notamment le cas lorsque la piraterie sévissait depuis les côtes de la Somalie et la réponse internationale permit de mettre fin, à l’époque, à ces pratiques d’ordre criminel. Réactiver de tels dispositifs est désormais posé sur les bureaux des diplomates. Ainsi, Catherine Colonna, ministre des Affaires étrangères, a évoqué lors de son point de presse au début de sa tournée, toujours en cours en Israël et au Liban que ces attaques « ne peuvent rester sans réponse », celle-ci étant à l’étude. Pour le moment, sont évoquées des mesures défensives visant à contrer la menace. Par contre, on peut s’interroger sur la problématique des moyens à mettre en œuvre. Face à un risque de saturation des attaques par des essaims de drones, les missiles mer-air ne sont pas forcément la meilleure riposte au regard du coût : 1 million d’euros pour abattre un engin de quelques dizaines de milliers d’euros (ou de dollars), c’est cher payé ! Une adaptation rapide de ces moyens serait nécessaire en privilégiant les canons à tir rapide dont le coût est moindre.
Il n’en demeure pas moins que le conflit déclenché par le Hamas le 7 octobre contre Israël touche maintenant de nouveaux théâtres, dont celui de la mer Rouge avec des conséquences importantes pour l’équilibre géopolitique de la région, obligeant à des réponses coordonnées. Parmi les questions posées : Est-ce que Téhéran poursuivra son soutien à ces opérations de harcèlement conduites par les Houthis ? Est-ce que Pékin prendra sa part dans la sécurisation d’un axe majeur pour son économie ? Y a-t-il un risque d’escalade avec des frappes directes sur les sites de lancement utilisés par les Houthis ? Une certitude, nos équipages militaires présents en mer Rouge sont en opération de guerre, sans trêve de Noël. ♦
(1) Pellistrandi Jérôme, « Éditorial : Guerre high tech/low cost en mer Rouge », RDN, Tribune n° 1550, 11 décembre 2023 (www.defnat.com/).