Cette semaine, le général Pellistrandi insiste sur l'entrée du conflit russo-ukrainien dans sa troisième année. Si les opinions publiques se détournent de l'actualité du conflit, la menace d'une guerre de haute intensité totale continue de planer sur le Vieux continent.
Éditorial – Ukraine, 23 mois de guerre (T 1564)
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Lorsque les blindés russes entamèrent leur assaut contre l’Ukraine au petit matin du 24 février 2022, la plupart des experts, dont moi-même, ne donnaient pas cher de la capacité de résistance des forces ukrainiennes, tandis que les images montraient en direct des files ininterrompues de voitures quittant les grandes villes, dont Kiev, la capitale, pour fuir l’invasion décidée par Moscou. Un exode – cette fois-ci en couleurs et en direct – mais qui évoquait sans contexte les pires heures de la Seconde Guerre mondiale avec les exodes des citadins cherchant refuge dans les campagnes.
Les capitales occidentales en étaient alors à essayer de gérer les flux de réfugiés et à transférer des armements dits « défensifs » aux soldats ukrainiens, en tentant de gagner des délais pour trouver une issue diplomatique à l’« opération spéciale militaire » conçue et décidée par Vladimir Poutine qui considérait que l’Ukraine n’avait pas vocation à être un État indépendant et souverain, mais un satellite de Moscou, comme au temps de l’URSS.
Personne n’aurait imaginé que la guerre allait bientôt entrer dans sa troisième année sans aucune perspective de règlement du conflit. Certes, la contre-offensive si attendue et lancée en juin par Kiev n’a pas réussi à briser les lignes de défense solidement établies par les forces russes, rappelant ainsi que les fortifications de campagne jouaient toujours un rôle décisif dans le cadre d’une tactique défensive. La ligne de front longue de près de 1 000 km nous rappelle celle de 1915-1918 avec des batailles d’attrition – hier Verdun ou le Chemin des Dames, aujourd’hui Bakhmout ou Avdiivka. Les infanteries s’affrontent appuyées par des chars et l’artillerie pilonne sans cesse. Le tout, désormais, dans un environnement numérisé et avec l’utilisation de tout type de drones, y compris dans la dimension maritime.
La mer Noire aurait d’ailleurs dû voir la supériorité incontestée de la marine du Kremlin, s’appuyant sur sa citadelle arsenal historique de Sébastopol. Toutefois, les marins russes vont d’humiliation en humiliation, obligés de se retirer de la Crimée, pourtant annexée depuis 2014, pour se replier plus à l’est. Drones marins et missiles Scalp/Storm Shadow franco-britanniques déciment les unités navales, infligeant à Moscou des pertes fracassantes.
Et alors que le front terrestre est figé par l’hiver, il ne reste que des stratégies alternatives à base de bombardements utilisant missiles et drones pour essayer d’asphyxier la population ukrainienne et ainsi user la défense sol-air dépendante des approvisionnements occidentaux.
Poutine joue la montre, considérant que le temps stratégique est en sa faveur de même que le rapport de force démographique qui est hélas une donnée imparable. Bénéficiant d’une industrie de guerre tournant à plein régime malgré les sanctions occidentales et de ravitaillement en munitions venant notamment de Corée du Nord, le dirigeant russe espère ainsi obtenir la lassitude des opinions publiques de l’Ouest. Déjà, le Congrès américain a gelé l’aide militaire, tandis que la campagne des primaires a démarré avec un Donald Trump en pole position. En Europe, chacun connaît les positions du Premier ministre hongrois Viktor Orban, plutôt favorable à Moscou. Et il est rejoint par le Premier ministre slovaque, Robert Fico, qui vient de déclarer que l’Ukraine n’est pas un pays indépendant et souverain, mais sous le contrôle des États-Unis.
Alors que se profile un troisième anniversaire tragique pour cette guerre de haute intensité sur le continent européen et que l’attention des opinions publiques s’est détournée de ce conflit, les dirigeants européens s’efforcent maintenant de relancer la flamme. Le président Emmanuel Macron l’a rappelé lors de ses vœux aux armées vendredi dernier, tandis que le tout nouveau ministre des Affaires étrangères et de l’Europe, Stéphane Séjourné, effectuait son premier déplacement directement à Kiev, puis à Varsovie et enfin Berlin pour exprimer le soutien de la France à l’Ukraine. Jeudi dernier, c’est le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, qui annonçait la mise sur pied d’une « coalition » artillerie avec nos partenaires pour mieux organiser et appuyer les artilleurs ukrainiens avec des annonces très concrètes autour des canons Caesar et de la production, notamment, d’obus de 155 mm avec un triplement de la production depuis bientôt deux ans.
Alors que la barre des 700 jours de guerre va être franchie cette semaine, il est clair que le sort de l’Europe est toujours en jeu dans les grandes plaines ukrainiennes. Certes, Moscou a subi trop de pertes pour pouvoir lancer une action offensive vers ses anciens pays satellites, mais, hélas, l’ambition impériale du maître du Kremlin reste intacte. D’où le besoin de remobiliser l’Europe, alors que les tempêtes géopolitiques se succèdent dorénavant à un rythme infernal. ♦