Histoire – Jean Gabin et la Marine (T 1586)
« Ce qu’il y a de magnifique dans la Marine, c’est que tous les gars dépendent les uns des autres. Il y a une très grande camaraderie. » Jean Gabin.
Il y a cent ans, Jean-Alexis Moncorgé, dit Jean Gabin, était appelé sous les drapeaux pour effectuer son service militaire dans la Marine nationale. Né à Paris en 1904, il était alors affecté comme fusilier marin à Lorient, puis au ministère de la Marine, rue Royale. Le 3 septembre 1939, la mobilisation générale surprend Jean Gabin pendant le tournage du film Remorques de Jean Grémillon. Le quartier-maître de réserve de 35 ans rejoint alors son unité à Cherbourg. Bénéficiant d’une permission exceptionnelle début mai 1940 pour achever le tournage du film, « gueule d’amour » retrouve sa partenaire Michèle Morgan pour quelques ultimes moments de bonheur, bientôt interrompus par l’attaque éclair des Allemands qui franchissent la Seine et l’empêchent de rejoindre son unité. C’est la débâcle et l’exode. Jean Gabin part dans sa Buick vers le sud, avec sa femme Doriane et des lingots d’or. Un peu avant Toulouse, le couple se dispute une fois encore et l’acteur en colère quitte le véhicule à pied, sans son épouse ni ses lingots, mais avec son accordéon. Il rejoint alors des amis à Saint-Jean-Cap-Ferrat.
Fin 1940, il demande à Vichy un visa pour les États-Unis, qui lui est finalement accordé en février 1941. Il embarque à Lisbonne avec son précieux accordéon et son vélo de course, ce qui lui vaudra un beau succès à son arrivée à New York. Il ne tarde pas à rejoindre les Français réfugiés à Los Angeles, mais « [s’y] ennuie à mourir » malgré le tournage de deux films et la présence de son nouvel amour, Marlene Dietrich.
Poursuivi par le remords, Jean Gabin retourne à New York fin 1942 ; il va voir l’un des représentants du général de Gaulle, en charge de la propagande, qui le renvoie aussitôt à Hollywood où il sera, lui dit-il, « plus utile à la France au cinéma que dans les troupes armées ». Jean Gabin joue alors dans L’imposteur avec Julien Duvivier. À la fin du tournage, il retourne cependant à New York, fermement décidé cette fois-ci à s’engager.
Mi-avril 1943, le second-maître Moncorgé aux cheveux tout blancs embarque à Norfolk sur l’escorteur Élorn des Forces navales françaises libres (FNFL), qui va accompagner un convoi pétrolier destiné à Casablanca. Fier de sa casquette, Jean Gabin est adjoint au capitaine d’armes et chef de pièce de DCA qui sera bientôt utilisée contre l’ennemi au large des Açores. À Alger, il sert comme instructeur au centre d’entraînement fusilier Siroco. Il repousse les pressions ministérielles visant à lui faire rejoindre le cinéma aux armées et demande à être formé sur tank destroyer.
À l’automne 1944, il embarque sur le croiseur La Gloire à destination de la Métropole. Il intègre le deuxième escadron du Régiment blindé des fusiliers marins (RBFM) au sein de la 2e DB du général Leclerc et va participer aux durs combats des Vosges. Sous les ordres de l’enseigne de vaisseau et futur vice-amiral André Gélinet, il est nommé chef de char sur le Souffleur 2. En février 1945, la 2e DB est au repos à Bourges et Jean Gabin obtient une permission pour aller à Paris retrouver, pense-t-il, ses amis du Tout-Paris. La désillusion est brutale : les uns ont collaboré, d’autres ont trahi et le reste se permet de tenir rigueur aux « planqués » qui ont trouvé refuge aux États-Unis… Déçu, le courageux patriote retrouve son unité pour participer à la prise de la poche de Royan, puis à la campagne d’Allemagne jusqu’à l’assaut final du Nid d’Aigle de Berchtesgaden. Lors d’un défilé à Munich, des généraux américains passent en revue le RBFM et voient ébahis surgir une jeune femme blonde en uniforme de l’US Army qui s’élance sur le Souffleur 2 pour embrasser le chef de char. Marlene a retrouvé son héros.
Au début du mois de juillet 1945, décoré de la Médaille militaire et de la Croix de guerre, le « plus vieux chef de char de la France libre » est enfin démobilisé et c’est d’un balcon de l’hôtel Claridge qu’il assiste au grand défilé du 14 juillet sur les Champs-Élysées, dont le Souffleur 2. « C’est con, mais je n’ai pas pu m’empêcher de chialer », confiera-t-il beaucoup plus tard à son biographe. La marque d’un grand patriote.
Au-delà de ses rôles mythiques comme dans Quai des brumes, Jean Gabin restera très fidèle à la Marine. En plusieurs occasions il retrouvera ses anciens camarades des FNFL, goûtant « l’amitié sans calcul des gens de mer ». Il reverra ainsi son « pacha » du RBFM, le capitaine de vaisseau Gélinet commandant alors la Jeanne d’Arc, et reviendra quelques années plus tard sur le croiseur-école pour assister à son appareillage pour le tour du monde, avec son fils Mathias à bord.