En cette rentrée, le général Pellistrandi fait le point, dans son éditorial hebdomadaire, des enjeux stratégiques du dernier trimestre 2024.
Éditorial – Une rentrée stratégique ? (T 1626)
Après une bouffée d’oxygène bien réconfortante qu’ont été les Jeux olympiques de Paris (JOP) et en souhaitant que les Jeux paralympiques poursuivent cette dynamique positive, la rentrée est désormais en ligne de mire, nous obligeant à regarder la réalité en face, fiers de la réussite des JOP mais lucides face aux nombreux défis stratégiques qui nous attendent.
Il y a bien sûr la politique nationale avec la nomination d’un nouveau gouvernement et la présentation de ses objectifs, dont la préparation de la loi de finances pour 2025 ; et déjà une inquiétude majeure pour la défense, grande absente des récents débats. À croire qu’elle est redevenue une variable d’ajustement pour certains partis politiques tellement égocentrés sur eux-mêmes et aveugles face à un environnement géopolitique plus qu’incertain. Ne pas maintenir l’effort de défense, ne serait-ce qu’en respectant la Loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 serait absolument désastreux et remettrait en cause une décennie d’efforts de redressement de nos armées, confrontées à de multiples défis sur de multiples théâtres de plus en plus complexes. Il y a là une priorité absolue et qui, si elle n’était pas respectée, se paiera très cher, très vite.
En effet, le monde est plus incertain que jamais.
Certes, la Russie piétine en Ukraine et le maître du Kremlin ne parvient pas à gagner son « opération spéciale militaire ». Pire encore, la guerre est désormais sur son territoire dans la région de Koursk mais, pour autant, l’Ukraine n’a pas gagné la guerre défensive qu’elle doit mener. Cela signifie que ce front va perdurer au moins jusqu’en 2025, même si d’ici deux mois, le Général Hiver va ralentir le rythme des opérations. Cela nous oblige à poursuivre – voire à amplifier – l’effort de soutien à Kiev, tout en se protégeant des actions de déstabilisation menées par Moscou dans les champs immatériels. La guerre froide 3.0 est bien enclenchée et va durer.
Au Proche et Moyen-Orient, le conflit engagé le 7 octobre par le Hamas est loin d’être réglé et va lui aussi durer, avec toutes les ambiguïtés de la région et, en particulier, celles de Téhéran. Jusqu’où le régime des mollahs est-il prêt à aller ? À l’affrontement majeur avec Israël et donc avec les États-Unis ou à une hybridation de modes d’action restant juste en dessous d’une ligne rouge encore mal définie ? Ainsi, les frappes régulières faites par les Proxys que constituent les Houthis en mer Rouge pénalisent durement le commerce international, sans parler de l’Égypte et des revenus en baisse du Canal de Suez. Là encore, le risque d’embrasement reste réel, une simple erreur de frappe d’une roquette entraînant la mort de civils pouvant très vite dégénérer.
Autre théâtre un peu vite oublié, l’Afrique subsaharienne que la France a dû quitter en grande partie face à des régimes militaires vindicatifs et se réclamant désormais de la sphère d’influence de Moscou. Là aussi, la Russie a compris l’intérêt de cette déstabilisation en actionnant de multiples leviers dont la pression migratoire Sud-Nord vers l’Europe, aux conséquences directes sur les politiques intérieures des États européens. Les enjeux restent majeurs et nous obligent à rester très vigilants, étant directement concernés. Là aussi, la manipulation des opinions est une arme de guerre que le Kremlin sait utiliser avec une grande efficacité.
Durant cet été, alors que l’actualité se focalisait, à juste titre, sur les JOP, la poursuite de l’expansion chinoise dans l’Indo-Pacifique a été passée sous silence. De nombreux incidents navals ont eu lieu, notamment entre les Philippines et les marines chinoises, reflétant ainsi le degré de tension qui règne dans la région. Pékin poursuit sa politique d’extension de son influence, y compris en Nouvelle-Calédonie, pouvant apparaître comme un partenaire crédible en raison de son carnet de chèques, permettant de se créer des affidés. La montée en puissance du réarmement des pays de cette zone traduit cette inquiétude d’un hégémonisme clairement affiché par Pékin.
D’autant plus que les États-Unis sont désormais en pleine campagne électorale et que les deux candidats principaux se livrent une bataille acharnée où les sujets internationaux sont désormais passés au second plan ; alors même que l’issue de cette élection sera déterminante pour la planète entière. C’est là aussi un des nombreux paradoxes de cet événement politique qui revient tous les quatre ans. Mais là, jamais les enjeux n’auront été aussi importants tant les approches stratégiques de Donald Trump et de Kamala Harris divergent.
C’est donc une rentrée bien compliquée qui nous attend avec plus d’incertitudes que de réponses claires. Avec la difficulté croissante dans nos sociétés ultra-connectées de savoir combiner le temps immédiat de la politique avec le temps long de la stratégie. ♦